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samedi 1 septembre 2012

05_Questions d'échelle






«  Figurez-vous une substance qui pourrait tenir la Terre dans sa main, et qui aurait des organes en proportion des nôtres ; et il se peut très bien faire qu’il y ait un grand nombre de ces substances : or concevez, je vous prie, ce qu’elles penseraient de ces batailles qui nous ont valu deux villages qui a fallu rendre.  »



Ainsi parla le géant Micromégas aux hommes qu’ils percevaient à peine au travers de sa loupe de fortune en diamant. À l’époque où Voltaire écrit ce conte philosophique, le microscope est une occupation de salon. Si le procédé est connu depuis longtemps, ce n’est qu’au XVIIIe puis au XIXe siècle qu’il permettra des avancées scientifiques notoires. La notion d’atome est encore telle que l’a définie Démocrite : une construction théorique – un peu comme ce qu’était le Boson de Higgs il y a encore quelques mois – basée sur le postulat que, descendant vers les plus petits constituants de la matière, on doit bien parvenir à “ce que l’on ne peut pas couper”, en grec : atomos. Aristote – qui, j’en suis désolée, revient régulièrement dans ces éditoriaux – pouffa, arguant que la matière était constituée des quatre éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air, et qu’il serait bien présomptueux d’aller chercher plus loin. Le débat fut clos pour quelques siècles, comme c’est souvent le cas après ses interventions.

Mais, avant les physiciens et après les philosophes, les biologistes se sont aussi posé la question. Ils “sentaient” bien, même s’ils ne les voyaient pas, que certaines choses s’agitaient aux limites de leur perception et agissaient dans leur dos, pas toujours à leur profit. Les animalcules des alchimistes ou les germes des médecins prennent corps grâce à notre gloire nationale : Louis Pasteur. La découverte de Pasteur (ou plutôt l’application qu’il en a faite) a eu une incidence oubliée : mettre fin à l’une des plus longues polémiques de l’histoire des sciences, la génération spontanée. On doit reconnaître à Louis-Archimède Pouchet (outre son patronyme handicapant), dernier défenseur de cette théorie synthétisée par… Aristote et réfutée expérimentalement en 1668, qu’elle était soutenue encore au début du XIXe siècle par d’autres gloires nationales dont Étienne Geoffroy Saint-Hilaire et Jean-Baptiste Lamarck. En effet, la biogénèse qui stipule que la vie ne peut naître que de la vie, est à l’origine d’une avancée médicale sans précédent : l’infection est maîtrisée grâce à la stérilisation des milieux. Ceci dit, la question demeure quant à la poule primordiale, celle qui pondit l’œuf originel (ou inversement), et le débat court toujours, à une autre échelle, certes, celle des origines de la vie.

Le monde microbien, la cellule, l’ADN, l’atome, le proton, le quark… ces mises en abîme donnent le vertige, imbriquant des mondes dans des mondes, des écosystèmes dans d’autres écosystèmes. Plus que la médecine, c’est peut-être le thème de ce numéro d’Espèces, qui tend à prouver que vivants, nous sommes déjà des écosystèmes complexes dont les occupants nous maintiennent en vie. Leurs batailles – dont parlait Voltaire – provoquent des déséquilibres susceptibles de nous anéantir.

Mais trouvons une consolation dans le fait que, même privés de vie, nous donnerons naissance à un autre écosystème… sans le secours de la génération spontanée.
Cécile Breton