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vendredi 26 juin 2015

Les fourmis utilisent des pesticides avec parcimonie


Découpe et transport des feuilles par les fourmis Atta en Guyane (photos J. Grangier).

Longtemps avant l’homme, un certain nombre d’animaux ont inventé diverses formes d’agriculture. Parmi eux, les fourmis coupeuses de feuilles, appelées aussi fourmis champignonnistes. Chez ces insectes, très répandus en Amérique du Sud, des feuilles sont collectées dans les arbres et ramenées au nid pour y être broyées. Le substrat ainsi produit est propice à la croissance de champignons qu’on ne trouve nulle part ailleurs, et dont les fourmis se nourrissent presque exclusivement. Comment les insectes prennent-ils soin de leurs cultures ? 
Des fourmis Atta au milieu de leur culture de champignon (photo Alex Wild, CC0 1.0)

D'après une nouvelle étude, les fourmis champignonnistes du genre Atta mènent une véritable lutte chimique contre les pathogènes. Tout repose sur l’acide phénylacétique, une substance que la glande métapleurale des Atta, située sur leur thorax, sécrète à un niveau inhabituellement élevé par rapport aux autres espèces de fourmis. Les chercheurs ont pu démontrer que ce composé chimique tue efficacement différentes espèces de pathogènes, et tout particulièrement le champignon parasite Escovopsis qui s’attaque aux cultures nourricières des fourmis.
Chacun son rôle: les plus petites
 ouvrières protègent les porteurs
 de feuilles contre les attaques 
de mouches parasites. Dans le 
nid, elles semblent très efficaces 
pour traiter les sources d'infection
 (photo J. Grangier).

Quand elles détectent une source d’infection sur une congénère ou sur leurs champignons, les ouvrières collectent des gouttelettes d’acide en frottant la pointe de leurs pattes avant sur l’orifice de leur glande métapleurale. Elles déposent ensuite la substance à l’endroit repéré. Des ouvrières de petite taille, à la glande métapleurale disproportionnée, seraient spécialisées dans cette tâche.

A chaque fois, l'acide est déposé très précisément sur les sources d'infection. Cette lutte chirurgicale limiterait l'apparition de souches résistantes chez les pathogènes. C'est pourquoi les biologistes souhaitent maintenant mieux comprendre l'évolution de la lutte chimique chez les fourmis champignonnistes. Elle est vraisemblablement très ancienne, le genre Atta existant depuis 10 Ma. Un problème qui intéresse les chercheurs, du fait des analogies entre ce système et l'agriculture humaine : nous nous heurtons à de sérieux problèmes de résistance après seulement quelques décennies de lutte chimique à grande échelle.


Référence : Fernandez-Marin H., Nash D. R., Higginbotham S., Estrada C., van Zweden J. S., d’Ettorre P., Wcislo T. et Boomsma J. J. 2015 – “Functional role of phenylacetic acid from metapleural gland secretions in controlling fungal pathogens in evolutionarily derived leaf-cutting ants”, Proceedings of the Royal Society of London B (doi: 10.1098/rspb.2015.0212).

Julien Grangier

mardi 16 juin 2015

Tout le monde n'y voit pas plus clair sous les lampadaires

Portrait de la noctuelle du chou (photo Michal Gábriš, avec son aimable autorisation).

La lumière artificielle ne fait pas qu’attirer les papillons de nuit, elle affecte aussi les phéromones qu’ils émettent. C’est du moins ce qu'une étude vient de démontrer chez la noctuelle du chou (Mamestra brassicae), un papillon présent dans toute l’Europe et dont les populations sont en déclin dans certains pays.

Des chercheurs ont élevé des femelles de cette espèce sous différentes conditions (obscurité ou lumière artificielle de faible intensité). Au bout de trois nuits, ils ont analysé la phéromone sexuelle émise dans chaque cas. Cette phéromone est un mélange de composés chimiques que les mâles reconnaissent spécifiquement. Elle joue donc un rôle essentiel dans la reproduction de l’espèce.

Les résultats montrent que les glandes des femelles exposées à une source lumineuse produisent nettement moins de phéromones que celles des femelles laissées dans l’obscurité. De plus, le message produit par les individus éclairés change : les 9 composés chimiques qui constituent la phéromone sont tous présents mais en proportions différentes. Le composé majoritaire, qui est aussi le plus attractif pour les mâles, est moins abondant. A l'inverse, 3 composés minoritaires, aux propriétés inhibitrices pour les mâles, sont présents en plus grande proportion.

Ces modifications sont donc susceptibles de perturber la rencontre des deux sexes. En effet, les phéromones émises par des espèces proches ne différent que très légèrement de celles de la noctuelle du chou, et les mâles sont sensibles à de très subtiles variations dans les bouquets d’odeurs émis par les femelles. 

Ce travail permet de mieux comprendre comment la « pollution lumineuse » affecte la faune nocturne, et il motive la recherche de nouveaux types de lumières moins dérangeants. Une démarche essentielle, alors que l’éclairage artificiel gagne toujours plus de terrain et que l’on en vient à célébrer la nuit noire comme une espèce en voie de disparition…



Référence : Van Geffen K. G., Groot A. T., Van Grunsven R. H. A., Donners M., Berendse F. et Veenendaal E. M. 2015 – “Artificial night lighting disrupts sex pheromone in a noctuid moth”, Ecological Entomology (doi: 10.1111/een.12202).


Julien Grangier

lundi 1 juin 2015

16_La vitrine ou la bière ?





La présence du squelette et du moulage du corps de Sawtche, dite Saartjie Baartman ou la “Vénus hottentote”, dans les vitrines de la galerie d’anthropologie physique du Musée de l’Homme, ne choquait personne jusqu’à ce qu’en 1974 André Langaney, alors conservateur, ne soustraie (d’autorité) ses restes au regard des visiteurs. Sa dépouille fut ensuite restituée à l’Afrique du Sud. Il y a quelques années, un autre célèbre muséum présentait deux squelettes humains respectivement étiquetés : “Homo sapiens, homme, caucasien” et “Homo sapiens, femme, Italienne” (sic). Le destin tragique de la Vénus, exhibée et maltraitée dans toute l’Europe puis disséquée par Georges Cuvier lui-même ne pouvait que susciter la compassion. Mais qui sont tous les autres ? Combien de restes humains dorment dans les réserves des muséums (sans parler du musée de l’histoire de la médecine ou de celui de la préfecture de police) ? Doit-on rendre à l’Égypte et enterrer les centaines de momies entassées dans les musées d’Europe ? Sans doute pas, mais, si on ne réduit plus les Égyptiens en poudre comme au XIXe siècle pour en faire des pigments, on pourrait encore légitimement se poser la question ! Où s’arrête la curiosité et où commence la profanation ?

Après tout, les seules différences entre Sawtche et un fœtus difforme en bocal, sont que l’on ne sait rien de l’histoire de celui-ci et qu’il n’a pas servi à étayer les théories racistes soutenues par l’anthropologie du XIXe siècle. Mais, à l’exception de ce cas particulier, les critères qui vous font passer de la vitrine à la sépulture sont subjectifs, ils ne dépendent que de la proximité temporelle ou affective de ceux qui décideront de votre sort et de l’intérêt d’une époque pour vos caractéristiques physiques.

Qu’en est-il des bêtes ? Un animal naturalisé provoque un étrange sentiment d’admiration mêlé d’un peu de gêne… Il ne devrait pourtant pas y avoir plus de gêne à voir une vache taxidermisée qu’à porter des chaussures en cuir. Là encore, l’humanité manque de logique aurait dit M. Spock – qui, s’il avait existé, se serait sans doute retrouvé dans une vitrine –, car ces objets provoquent en nous un sentiment confus où s’entrechoquent notre subjectivité (l’illusion de la vie) et notre objectivité (la conscience de la mort).

Bien sûr, l’intérêt scientifique de certains corps humains les privera définitivement, et légitimement, de sépulture : il ne nous viendrait pas à l’idée d’enterrer Ötzi… et comme vous le constaterez dans ces pages, les dépouilles animales mises en scène ont un indéniable intérêt pédagogique (d’autant qu’elles évitent la cage à quelques vivants). Les seules représentations du grand pingouin suffiraient-elles à nous faire prendre conscience de la réalité de son irrémédiable perte ? Intérêt pédagogique mais aussi scientifique, car la taxidermie leur permet de traverser le temps jusqu’à ce que, peut-être, de nouvelles techniques les fassent parler plus clairement.

Je regrette pourtant la disparition de l’anecdotique cartel de l’Italienne car, à partir de ce maigre indice, je me plaisais, adolescente, à imaginer quels hasards de la vie l’avait menée jusqu’ici. Elle avait aussi, avec son compagnon “caucasien”, le mérite de montrer combien nous sommes embarrassés lorsqu’il s’agit de nous étudier nous-mêmes…  
Cécile Breton

Pour bénéficier d’une vitrine luxueuse et confortable préférez la sainteté aux difformités physiques (cliché FLL/Creative Commons).