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mercredi 16 décembre 2015

Les rapaces trahis par leurs bavardages

Une mésange tourne ostensiblement autour d'un hibou moyen-duc (photo nebirdsplus, CC BY-NC-ND 2.0).

Les mésanges ont le discutable honneur de figurer parmi les casse-croûtes préférés des rapaces. Pour faire face, elles lancent des cris d’alarme lorsqu’un de ces prédateurs approche afin de prévenir leurs troupes. Le danger est repéré visuellement, mais pas seulement. Une nouvelle étude montre que les mésanges savent aussi identifier différentes espèces de rapaces en écoutant simplement leurs cris, et qu’elles lancent ensuite une alarme spécifique pour chaque type de menace encouru.

Ces oiseaux à l’ouïe fine sont la mésange à tête noire (Poecile atricapillus) et la mésange de Gambel (Poecile gambeli), toutes deux communes en Amérique du Nord. Les biologistes ont scruté leurs réactions face aux cris enregistrés de trois espèces de rapaces aux stratégies de chasse différentes. L’épervier brun (Accipiter striatus), assez agile pour capturer de petites proies, et la chevêchette naine (Glaucidium gnoma), chassant à l’affût, sont pour elles deux prédateurs redoutables. L’autour des palombes (Accipiter gentilis), plutôt attiré par des proies corpulentes, représente une moindre menace.
Les deux mésanges étudiées (P. atricapillus en haut, P. gambeli en bas) et les rapaces auxquels elles sont confrontées (de gauche à droite : chevêchette naine G. gnoma, épervier brun A. striatus, autour des palombes A. gentilis) (photos respectivement A. Delray - The Forest Vixen, Ron Knight, Dominic Sherony, NatureShutterbug et F. Dahlmann, Creative Commons).

Les enregistrements des deux premiers rapaces, les plus dangereux, ont déclenché chez les mésanges des cris d’alarmes plus nombreux que ceux de l’autour des palombes. Autrement dit, l’alerte rouge n’est déclenchée que pour les menaces les plus élevées. Mais des analyses poussées révèlent que, dans les cris déclenchés par l'approche simulée de l'épervier, les sons à hautes fréquences sont plus nombreux que lorsqu'il s'agit de la chevêchette : il existe donc plusieurs niveaux "d'alerte rouge".

Cette subtilité permettrait aux mésanges d'adapter leur réponse au type de risque signalé par l'alerte : se cacher si c’est un épervier qui peut surgir à tout moment et de n'importe où grâce à son vol rapide et imprévisible ; s'approcher bruyamment de l'intrus pour le faire fuir si c’est une chevêchette qui vole plus lentement et ne chasse que dans les environs immédiats de son perchoir. 

Les passereaux étaient déjà connus pour inclure dans leurs alertes des informations sur le type de menace repéré – terrestre ou aérienne par exemple – mais c’est la première fois qu’un tel niveau de précision est démontré. 


 Référence : Billings A. C., Greene E., Maria De La Lucia Jensen S. 2015 - “Are chickadees good listeners? Antipredator responses to raptor vocalizations”, Animal Behaviour 110 : 1-8 (doi: 10.1016/j.anbehav.2015.09.004). 


 Julien Grangier


samedi 5 décembre 2015

Une fleur qui pêche les chasseurs


Chenille du papillon du papillon de nuit Heliothis phloxiphaga s'attaquant à une fleur d'Aquilegia eximia (Californie, cliché É. LoPresti).

Organismes fixés au sol par leurs racines, les plantes ne peuvent fuir devant les herbivores. Elles ont donc développé différents modes de défense, directs comme des épines acérées, ou indirects, comme le recours à des aides externes, les prédateurs des herbivores (comme l’acacia qui sécrète des substances nutritives pour les fourmis qu’il héberge). Mais comment rameuter ces derniers ? Certaines plantes les attirent en leur fournissant abri ou nourriture. Mais que faire si la plante ne dispose d’aucun de ces appâts ? 

Chez Aquilegia eximia, une ancolie endémique de Californie, une étonnante astuce a été sélectionnée : cette plante très collante englue de nombreux petits arthropodes qui, ne pouvant s’échapper, finissent par mourir sur place et, en recouvrant la plante, attirent non seulement les charognards mais aussi des prédateurs carnivores susceptibles d'attaquer ses ennemis. Des chercheurs américains ont voulu mesurer le bénéfice de cette attraction pour l’ancolie. Ils ont ainsi comparé les préjudices subis par deux lots d’A. eximia, un "nature" et l’autre débarrassé chaque semaine de ses charognes. Et le résultat est sans ambiguïté : le lot "nettoyé" a subi de nombreux dommages, en particulier au niveau de ses fleurs, à la différence du lot resté "sale". 

Ce mode de défense indirecte est donc efficace et apparemment assez commun puisque les chercheurs ont recensé des plantes collantes potentiellement piégeuses dans plus de 110 genres et 49 familles. Reste à trouver quel est le "chant de sirène" qui attire les insectes "touristes", selon les expressions des auteurs. 


Insectes "piégés" par diverses espèces de plantes recensées par les auteurs de l'étude (Clichés É. LoPresti).


Référence


LoPresti E. F., Pearse I. S. et Charles G. K., 2015 - “The siren song of a sticky plant : columbines provision mutualist arthropods by attracting and killing passerby insects.” Ecology. http://dx.doi.org/10.1890/15-0342.1

Christine Dabonneville