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mercredi 9 septembre 2015

L'épopée des crustacés pirates

Un Pentastomida parasite extrait du système respiratoire d'un python (spécimen du Muséum d'histoire naturelle de Berlin, photo José Grau de Puerto Montt, CC BY-SA 3.0).

Ne vous fiez pas à leur apparence vermiforme: les Pentastomida sont bien des Crustacés. Aux mœurs peu communes, il est vrai. Chez la plupart des 140 espèces actuelles, les adultes parasitent le système respiratoire de vertébrés terrestres (oiseaux, reptiles, mammifères). Un mode de vie dont on ignorait presque totalement les origines, car les fossiles de Pentastomida sont rarissimes et n’étaient représentés que par des spécimens juvéniles sans hôte définitif. Ces lacunes ont finalement été comblées avec la découverte en Angleterre de plusieurs fossiles d’adultes encore attachés à leurs hôtes et vieux de 425millions d’années. 

Examinés sous toutes les coutures par tomographie et modélisés par ordinateur, les parasites ont pu être décrits très précisément. Leur espèce a été baptisée Invavita piratica et classée dans un ordre auquel appartiennent certains parasites actuels. Surtout, leurs hôtes ont été identifiés: il s’agissait non pas de vertébrés, mais d’ostracodes, petits crustacés marins dont le corps est protégé par une carapace.
Reconstitution d'un Pentastomida fossile (en haut, en rouge) fixé à son hôte, un ostracode (image tirée de Siveter et al. 2015).
Ces scènes de parasitisme figées dans la roche montrent aussi que les Pentastomida du passé étaient des parasites externes, une grande partie de leur corps restant libre. Cela suggère qu’ils cherchaient activement leur hôte avant de s’y fixer. Bien avant de devenir endoparasites de vertébrés terrestres, les Pentastomida ont donc été ectoparasites d’arthropodes aquatiques. L’ingestion d’ostracodes parasités par des vertébrés de l’époque pourrait avoir amorcé ce changement de mode de vie.


Siveter D. J., Briggs D. E. G., Siveter D. J. & Sutton M. D., 2015 – “A 425-million-year-old Silurian Pentastomid parasitic on Ostracods”, Current Biology (doi: 10.1016/j.cub.2015.04.035).


Julien Grangier

mardi 1 septembre 2015

17_Et pourquoi pas ?




[…] C’est l’Ennui ! L’œil chargé d’un pleur involontaire,
II rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
– Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère !
Charles Baudelaire, Au lecteur, 

Les Fleurs du Mal (1857).



Surprise ! Espèces, revue de référence sur les sciences de la vie et de la Terre, Espèces héraut de la connaissance objective, vous parle de cryptozoologie et se pare - ultime affront - d’une tortue à trois paires d’yeux en une. Oui. Vous vérifiez la couverture et non, ce ne sont pas les adeptes de la secte du grand Migou qui ont mis une habile contrefaçon sur le marché. Alors, vous vous dites que cet interminable été caniculaire a dû provoquer ce pétage de fusible éditorial et que, décidément, on ne peut se fier à personne (et certainement pas aux journalistes). Vous affûtez votre plume pour nous envoyer un petit mot rageur accompagné de la résiliation de votre abonnement…

Je comprends la violence de votre réaction, mais je dois vous rappeler que les membres de notre rédaction sont des Homo sapiens. Or, cette espèce, à laquelle - j’ai le regret de vous l’apprendre, car elle n’a pas très bonne presse - vous appartenez aussi, a une fâcheuse tendance à s’illustrer par des contradictions à donner des migraines à Auguste Comte. Mais, avant de faire un autodafé de votre collection d’Espèces, demandez-vous si ces contradictions sont véritablement contradictoires.

Rappelons que la merveilleuse machine qui palpite entre nos deux oreilles, animée d’un mouvement perpétuel, consomme 15 à 20 % de notre énergie (un conseil, et malgré ce que disent les magazines féminins, si vous voulez maigrir, pensez). L’exubérante activité de notre encéphale peut rapidement devenir un problème s’il est livré à lui-même. Sans aucun objet sur lequel se focaliser, c’est alors ce “monstre délicat”, l’Ennui - avec sa capitale initiale -, qui sort du bois. La fragile mécanique tourne alors sur elle-même à vide et, affamée, se nourrit dans les poubelles, accouchant parfois du pire, nous menant dans les territoires désolés du délire, du fantasme, de l’idéalisme échevelé, de la folie… En effet, et si on le laisse faire, notre esprit ne tend pas naturellement vers le cartésianisme (là encore, j’ai le regret de vous l’apprendre) et, s’il est l’outil de notre connaissance rationnelle du monde, il s’interpose sans cesse, dans le même temps, entre nous et la réalité. Est-ce un mal ? Question d’équilibre, bien sûr, mais que serait notre vie si notre imagination ne le disputait pas sans cesse à notre raison ? Un insipide épisode de Batman sans Robin.

Alors comment occuper raisonnablement cet organe hyperactif ? Comment le distraire tout en satisfaisant son penchant naturel à la divagation ? Mais, – Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère !, en faisant de la science, bien sûr ! Car la science est cet “état de grâce” dont parle Gérald Bronner qui consiste à faire faire à notre cerveau ce qu’on lui dit de faire tout en le divertissant habilement. Elle nous permet d’explorer les provinces de l’étrange bien à l’abri dans la bulle de notre rationalité.

Alors ne voyez dans la cryptozoologie qu’une manière distrayante d’exercer la méthode scientifique, un lieu privilégié où une tortue à trois yeux a le droit d’exister… Pourquoi pas ? Mais seulement jusqu’à preuve du contraire.
Cécile Breton

Le docteur Franz Joseph Gall, inventeur d’une pseudoscience qui fit fureur au xixe siècle, la phrénologie. Celle-ci se proposait de définir  le caractère d’une personne par la forme de son crâne. Il est ici entouré de sa collection de crânes d’Adam et Ève, Noé, Homère, du cheval de Troie, etc. (caricature de Martinet, 1807).

mercredi 19 août 2015

Des perce-oreilles qui piquent les narines

Un couple de perce-oreilles Labidura riparia (photo John Byers).

Une façon inhabituelle de repousser les prédateurs vient d’être découverte chez un perce-oreille : émettre une forte odeur de cadavre en décomposition pour dégoûter son assaillant. C’est la première fois que ce type de mimétisme olfactif est mis à jour chez un insecte. Il s’agit de Labidura riparia, un perce-oreille que l'on trouve un peu partout dans le monde. Alors qu’il les étudiait sur le terrain, John Byers, entomologiste à l'USDA, avait remarqué une très désagréable odeur. Il s’est penché de plus près sur ce phénomène, et en décrit l’origine dans une étude publiée récemment. En cas de danger, ces perce-oreilles émettent des composés volatils soufrés, apparemment produits dans leurs glandes salivaires et excrétés par la bouche. Ces charmantes fragrances évoquent à la fois la chair en décomposition et les excréments.

Le lézard Anolis carolinensis (PiccoloNamek, 
CC BY-SA 3.0). 
Pour vérifier si cela pouvait effectivement repousser les prédateurs, le chercheur a observé en laboratoire la réaction de lézards (Anolis carolinensis) mis en présence de perce-oreilles. D’abord tentés d’en faire leur repas, les reptiles recrachent immédiatement le perce-oreille qu’ils ont tenté d'avaler. L’insecte déclenche sa protection chimique assez rapidement pour ne pas être blessé. Les lézards retiennent la leçon puisqu’ils ne renouvellent jamais l’expérience, même après plusieurs semaines. Le rejet initial est une réaction innée et ressemble à l’aversion qu’ont la plupart des vertébrés prédateurs pour la chair en décomposition - sans doute une adaptation permettant de limiter les risques d’infection. Il est donc probable qu’avec son odeur de charogne, le perce-oreille parvienne à échapper à d’autres prédateurs (oiseaux et mammifères insectivores), mais cela reste à vérifier.



Référence : Byers J. A. 2015 - “Earwigs (Labidura riparia) mimic rotting-flesh odor to deceive vertebrate predators ”, The Science of Nature (doi: 10.1007/s00114-015-1288-1).

Julien Grangier

jeudi 6 août 2015

Comment utiliser ses tentacules pour pêcher à la ligne

Petite mais costaude, Carukia barnesi (photo Lisa-Ann Gershwin, avec son aimable autorisation). 

Les cuboméduses, ce sont un peu les Rolls Royce des méduses : elles nagent plus vite que les autres, ont un sens visuel plus développé, et affichent une plus grande diversité de comportements.  Elles sont aussi les plus venimeuses, infligeant des piqûres pouvant être fatales aux êtres humains.
Les crocodiles ne sont pas les seuls à rendre les plages australiennes si accueillantes (photo J. Grangier).

Cela n’a pas empêché une équipe de scientifiques d’étudier le comportement prédateur d’une de ces créatures, Carukia barnesi. Plusieurs individus ont été prélevés en mer dans la région de Cairns en Australie. Placés dans des aquariums et filmés pendant des heures, leur morphologie ainsi que leur attitude en présence de larves de poissons ont été étudiées en détail. Et leur talent de pêcheurs exposé au grand jour.
Un poisson piégé (a) au niveau d'un
des amas de cellules urticantes (b).
L'ombrelle de la méduse, qui ne
mesure pas plus de 2 cm, est visible
en (c) (photo tirée de Courtney et 
al. 2015 - Plos One).

Il semble en effet que ces méduses leurrent activement leurs proies afin de les capturer. Elles commencent par étendre au maximum leurs quatre tentacules, qui peuvent atteindre 75 cm de long. Elles les agitent ensuite par de brèves contractions environ une fois toutes les 10 secondes, comme le montrent les films réalisés pendant l'étude.

Agités ainsi, les amas de cellules urticantes, situés tous les 3 cm le long des tentacules, deviennent plus visibles. Ces zones pâles, plus denses que le reste des tentacules, apparaissent alors comme de petits points blancs aux mouvements saccadés. Ou, aux yeux des larves de poisson, comme une proie idéale de type plancton marin.

Cela expliquerait pourquoi les poissons s’approchent rapidement des tentacules, comme s’ils poursuivaient une proie. Au moment de la gober, cependant, les voilà eux-mêmes transformés en festin, foudroyés par le puissant venin de leur prédateur.

Les méduses ne se livrent à ces parties de pêche qu’à la lumière du jour, jamais la nuit. Les biologistes pensent qu’elles économisent ainsi leur énergie, car agiter leurs tentacules serait inutile dans l’obscurité. D’autres animaux vivant à plus grande profondeur ont développé une forme de « pêche » similaire, mais utilisable dans le noir. Certains siphonophores, par exemple, ne se contentent pas d’agiter leurs cellules urticantes, mais les parent aussi d’une lueur rouge qui attirerait les poissons…


Référence : Courtney R., Sachlikidis N., Jones R., Seymour J. 2015 - “Prey capture ecology of the Cubozoan Carukia barnesi”, Plos One (doi: 10.1371/0124256).

Julien Grangier


vendredi 10 juillet 2015

Les mésanges incollables sur les stocks de chenilles

Une mésange charbonnière (photo Frank Vassen, CC BY 2.0).

Les amours printanières ne se font pas forcément à la légère. Pour bien des animaux, il est essentiel de bien choisir ses dates de reproduction. Idéalement, la croissance des jeunes, période de forte demande énergétique, devra coïncider avec le pic d’abondance des ressources alimentaires. Avant de s’accoupler, il s'agit donc de détecter des signes annonçant l’émergence des ressources dont les jeunes auront besoin. Comment font les animaux et à quel point y parviennent-ils ? Des questions de plus en plus pressantes alors que le réchauffement global modifie déjà la phénologie de nombreuses espèces.

Selon une nouvelle étude, les mésanges charbonnières (Parus major)  synchronisent très précisément leur reproduction avec l’état des ressources proches de leur nid. L’affaire n’est pourtant pas simple. Les mésanges nourrissent leurs oisillons principalement avec des chenilles de phalène brumeuse (Operophtera brumata) et ces chenilles ne vivent qu'un court instant au printemps car elles mangent exclusivement les jeunes feuilles de chêne (Quercus spp.).
 De quelque nature qu'il soit, le jeune a faim: les oisillons réclament des chenilles de la phalène brumeuse, qui elles-mêmes se jettent goulûment sur les feuilles de chêne immatures (photos J-D Echenard CC BY-ND 2.0, D. Hobern et R. Verzo CC BY 2.0).  

Pour clarifier l'emploi du temps de tout le monde, des biologistes ont observé oiseaux, chênes et chenilles pendant plusieurs années dans un bois de 28 Ha, près d’Oxford en Angleterre. L’endroit réunit plus de 200 nichoirs à mésanges, ce qui a facilité la récolte de données très précises.

Ce travail a révélé qu'il y a chez les arbres des lève-tôt et des lève-tard. En effet, la date d’apparition des nouvelles feuilles et leur vitesse de développement sont étonnamment variables parmi les chênes d’un même bois. L’abondance des chenilles étant étroitement corrélée au rythme de croissance des feuilles, la quantité de nourriture disponible pour les mésanges n’atteindra donc pas son maximal partout au même moment.
Les feuilles de chêne n'apparaissent pas toutes au même moment : zones de bourgeonnement précoce (en bleu) et tardif (en rouge) dans le bois étudié (exemple ici du printemps 2007). Les points noirs représentent des nichoirs à mésanges. La date du pic d'abondance des chenilles, dépendante de l'apparition des feuilles, ne sera donc pas la même selon les territoires (carte extraite d'une figure de Hinks et al. 2015 - The American Naturalist).

On pourrait s'attendre à ce qu'une telle variabilité complique sérieusement les prédictions des oiseaux. Il n'en est rien, puisqu'ils règlent leur calendrier de reproduction sur ce qui se passe tout près de chez eux ! Leurs dates de ponte et d’éclosion sont corrélées à l’émergence des feuilles sur les arbres situés à moins de 50 m de leur nichoir. Ils ne tiennent manifestement pas compte du rythme des arbres plus éloignés.

Les dates d’accouplement des couples d'oiseaux varient donc selon les conditions offertes par leur territoire. Dans chaque cas, les oisillons écloront à la période qui leur fera profiter du maximum de nourriture. Les indices saisonniers qui paraissent les plus évidents, comme la température ambiante ou la durée des jours, ne sont donc pas les seuls utilisés par les animaux pour décider quand se reproduire. D’autres indices, plus locaux, sont donc nécessairement pris en compte par les mésanges pour caler leur cycle de vie sur celui des chenilles qui vivent autour de chez elles.


Référence : Hinks A. E., Cole E. F., Daniels K. J., Wilkin T. A., Nakagawa S., Sheldon B.C. 2015 – “Scale-dependant phonological synchrony between songbirds and their caterpillar food source”, The American Naturalist (doi : 10.1086/681572).

Julien Grangier