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vendredi 19 février 2016

19_Ahhaaahh !








« Mais où est mon araignée ? » J’ai compris que j’avais eu la main un peu lourde avec l’aspirateur. J’étais loin d’imaginer que, dans cette maison, quelqu’un connaissait personnellement cette petite tégénaire brune, bien discrètement installée dans un angle. On la dit “domestique” – Tegenaria est domestica comme Canis est familiaris – car elle aime les maisons des hommes et leur confort, préférant les pièces bien chauffées aux caves humides. Elle peut être assez grosse et sa physionomie plutôt ramassée et pas franchement glabre ne plaide pas en sa faveur. Mais je ne suis pas particulièrement arachnophobe ; elle fut victime de ma distraction et non de mon animosité… d’autant que nous n’avions pas été présentées. En Corse, où j’habite, il n’y a pas d’araignées dangereuses à l’exception de la bien nommée malmignattu, une veuve noire qui a le bon goût de vous alerter par sa livrée rouge et noire et de ne pas habiter chez vous. C’est sans doute la raison pour laquelle on l’a affublée d’un nom à coucher dehors : Latrodectus mactans tredecimguttatus. Avec la quinzaine d’espèces véritablement dangereuses pour l’homme (sur les 45 000 recensées dans le monde), la malmignatte sert de prétexte aux campagnes d’écrasement systématique dont sont victimes toutes ses frangines, sans distinction de race, de couleur ou de pilosité. La dernière fois que j’ai tenté d’en sauver une d’une botte rageuse, on m’a rétorqué « On ne sait jamais ! ». Et bien si ! Parfois, on sait.
Il y a malheureusement des exceptions au théorème qui postule que la connaissance suffit à éradiquer la peur et son corolaire, la violence. Les araignées font partie de ces exceptions, avec les serpents et les souris, pour ne citer que les cas les plus courants. Les phobies ont cela de rigolo que celui qui en est victime a pleine conscience du caractère irrationnel de sa peur. Le pouvoir de l’esprit a ses limites et les diverses explications évolutives, environnementales ou culturelles n’expliquent encore qu’imparfaitement cette “pathologie”. Les guillemets sont de rigueur pour un mal qui toucherait près de 26  millions de personnes… 26  millions d’acheteurs potentiels du présent numéro dont nous faisons notre deuil par amour du savoir et des bêtes, quel que soit le nombre de leurs pattes. Moches ou belles, dangereuses ou inoffensives, velues ou gluantes, vivant dans les bouses de vaches ou dominant les cieux, elles méritent toutes les honneurs de la une.

Certes, nous ne sauverons pas beaucoup d’araignées en vous montrant combien elles sont étranges et merveilleuses. Nous acceptons de bonne grâce cet échec annoncé, car nous devons bien cela à ces quelques-unes qui seront peut-être épargnées, comme je devais cet hommage à la petite tégénaire qui ne m’avait rien fait.

Cécile Breton


L'araignée souriante, croisement d'araignée et de chat du Cheshire par Odilon Redon
(fusain, estompe sur papier vélin chamois, 1881, cliché Creative Commons).