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mardi 12 mai 2015

Les poissons parlent plus distinctement quand il fait nuit

Un banc de poissons dans les eaux de Sodwana Bay (Afrique du Sud), où des chercheurs sont allés placer des micros (photo Matt Kieffer, CC BY-SA 2.0).

Oubliez ce qu’on dit des carpes : les poissons sont en fait plutôt bavards. Ils communiquent souvent par des sons, qu’il s’agisse d’attirer l’attention d’un partenaire sexuel ou de défendre un territoire. Ce langage est assez bien étudié au niveau individuel, mais le « paysage sonore » produit à l’échelle de toute une communauté de poissons était jusqu’ici inconnu. S’entend-on parler dans ce brouhaha aquatique ?


Pour le savoir, des chercheurs ont mis les profondeurs marines sur écoute : des microphones ont été placés à plus de 100 m sous le niveau de la mer, le long de canyons sous-marins situés au large de l’Afrique du Sud. L’endroit semblait propice à l’interception de bavardages car son relief accidenté abrite de nombreuses espèces, dont le célèbre coelacanthe

Et en effet, deux semaines d’enregistrement ont suffi à récolter plusieurs milliers de sons. Leur examen minutieux révèle qu’au moins 17 espèces se sont exprimées (16 poissons et un cétacé), dont certaines de façon très variée. Les chercheurs ont aussi découvert que les poissons se répartissaient en deux groupes (diurne et  nocturne) et que les sons produits la nuit se distinguaient plus clairement les  uns des autres que ceux produits le jour. Autrement dit, le paysage sonore nocturne est moins cacophonique. 

D’après les biologistes, ce « partitionnement » s’expliquerait par l’impossibilité pour les poissons nocturnes d’accompagner les sons qu’ils émettent de signaux visuels, comme le font couramment leurs collègues diurnes (à la manière, par exemple, des « danses nuptiales » chez les Dascyllus). Dans la communauté de poissons nocturnes, l’obscurité aurait donc constitué une contrainte importante dans l’évolution de la communication sonore, conduisant à une différentiation marquée entre espèces. Ces résultats ouvrent la voie vers une meilleure compréhension d’un phénomène qui interroge de plus en plus : les interférences entre les multiples sons produits par les activités humaines et ceux régissant la vie aquatique.



Référence : Ruppé L., Clément G., Herrel A., Ballesta L., Décamps T., Kéver L. et Parmentier E. 2015 – “Environmental constraints drive the partitioning of the soundscape in fishes”, PNAS (doi: 10.1073/pnas.1424667112).


Julien Grangier