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lundi 21 novembre 2016

22_Des oiseaux et des injures














Dans son poème “Dans ma maison”, les pensées de Prévert dérivent et trébuchent sur un oiseau : le pinson. « Comme c’est curieux les noms », dit-il. Et j’oserais rajouter “d’oiseaux”. Si curieux, que le sens de “noms d’oiseaux” a lui-même dérivé jusqu’à devenir le timide synonyme d’“insulte”. Si notre imagination dans le domaine des injures est inépuisable, elle semble montrer d’inquiétants signes d’essoufflement lorsqu’il s’agit de nommer les oiseaux. À notre décharge, on compte plus de 10 000 espèces dans le très diversifié groupe des tétrapodes ailés : il n’est donc pas surprenant que leurs sobriquets soient parfois drôles, absurdes, surréalistes, attendrissants, mais toujours infiniment - bien qu’involontairement - poétiques. Car ces noms vernaculaires ont toujours une histoire logique : si certains dérivent du nom scientifique de l’animal, beaucoup font référence à son chant, ses couleurs ou ses habitudes alimentaires. Mais la poésie surgit parfois de la logique, là où on l’attend le moins !


Parmi ceux qui me ravissent tout particulièrement, il y a le butor étoilé. Le mot “butor” est lié, par les chemins détournés du bas latin, au bœuf, auquel il est impossible de ne pas penser en écoutant le mugissement de ce joli héron. Très injustement pour lui, “butor” est devenu une insulte alors que l’animal ne s’est jamais particulièrement illustré par sa muflerie. Néanmoins, aujourd’hui, la juxtaposition de “butor” et d’“étoilé” a quelque chose d’infiniment surréaliste et drôle, distillant l’étrange beauté de la rencontre fortuite de la machine à coudre et du parapluie chère au comte de Lautréamont. J’en ai autant au service du syrrhapte paradoxal et de tous ceux dont les patronymes sont délicieusement obscurs comme l’érismature à tête blanche, le gravelot mongol, l’œdicnème criard et autres locustelles, parulines et consorts. Je passe sur tous les noms qui, comme “pie-grièche écorcheur” ou “queue-de-gaze”, sont de nature à me provoquer des sueurs froides lorsqu’il s’agit de les mettre au pluriel ou de déterminer leur genre.

Un inventaire que Prévert n’aurait certainement pas renié, ni d’ailleurs Shakespeare, qui aimait autant les oiseaux que les insultes (un aspect de son génie auquel, à mon sens, on ne rend pas suffisamment hommage). Par chance, il y a autant de passionnés d’ornithologie que de fanatiques du divin barde et certains d’entre eux ont pris le temps de compter le nombre de fois où chaque espèce était citée dans son œuvre (certaines personnes font ce genre de choses). La tourterelle est citée 44 fois, l’étourneau une seule. C’est pourtant indirectement à cause de cette citation que l’Amérique du Nord est aujourd’hui ravagée par 250 millions d’étourneaux sansonnets. Ceci n’aurait pas été possible sans la pertinente intervention d’Eugène Schieffelin, président de l’American Acclimatization Society et admirateur radical de Shakespeare : il rêvait de voir s’ébattre dans Central Park toutes les espèces qui avaient attiré l’attention de l’auteur et tenta de les introduire en Amérique. La délicate grive musicienne, pourtant plus souvent citée, s’acclimata beaucoup moins bien.

Amours de la littérature et des oiseaux ne sont pas toujours compatibles, mais les oiseaux nous réservent toujours d’incroyables surprises. Nous allons vous le prouver.

Cécile Breton



Nay, I’ll have a starling shall be taught to speak
Nothing but “Mortimer” and give it him (W. Shakespeare, Henri IV, acte I, scène 3).




dimanche 6 novembre 2016

Des fourmis guettent le vent pour garder les pieds sur terre

Des fourmis Acromyrmex lobicornis à l'entrée de leur nid, en Patagonie (photo A. Alma/A. Farji-Brener, avec leur aimable autorisation).

En Patagonie, le vent est si violent qu’il décoiffe même les fourmis au ras du sol. Ralenties, détournées des chemins les plus directs, elles risquent parfois même d’être emportées. Face à ces aléas climatiques, l’espèce Acromyrmex lobicornis a développé une réponse collective efficace : mettre en service les ouvrières les plus adaptées au temps qu'il fait !

Chez ces fourmis coupeuses de feuilles, les ouvrières amassent des fragments végétaux dans le nid pour y cultiver des champignons nourriciers. La taille des ouvrières est très variable au sein de chaque colonie. Or, selon que le vent souffle ou non, ce ne sont pas les mêmes qui travaillent ! Des chercheurs ont découvert que les ouvrières de petite taille sont plus nombreuses par temps calme et que les plus grandes ne sortent qu’en cas de gros vent. Ces dernières ne sont pas seulement plus lourdes : leurs pattes sont munies de pelotes adhésives plus efficaces permettant de mieux se cramponner au substrat. Ainsi résistent-elles bien au vent malgré des charges transportées et une prise à l’air plus importantes.
Une ouvrière d'A. lobicornis transporte un fragment de feuille (photo A. Alma/A. Farji-Brener).

Les chercheurs ont vérifié que le changement observé dans la taille des ouvrières actives ne vient pas de la perdition des plus petites dans les bourrasques, ce qui augmenterait de fait la proportion des grands individus. Il y a bien ajustement de la répartition des tâches entre les différents membres de la colonie. On suppose, pour l'heure, qu'une fois rentrées au nid, les ouvrières communiquent l’état des conditions extérieures et/ou les difficultés qui en découlent, déclenchant si besoin la sortie des plus grandes. Une sorte de bulletin météo en temps réel permettant de maintenir une circulation fluide !


Référence : Alma A. M., Farji-Brener A. G. et Elizalde L. 2016 - "Collective response of leaf-cutting ants to the effects of wind on foraging activity”, The American Naturalist, sous presse (doi: 10.1086/688419).

Julien Grangier