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samedi 23 janvier 2016

18_Nous avons besoin de vous






La vulgarisation scientifique n’est pas un métier facile, et la preuve en est que, pendant longtemps, ce n’était pas un métier du tout.

Pourtant, des méthodes de communication efficaces ont été élaborées depuis des temps immémoriaux. Contrairement aux apparences, tous les Égyptiens de l’Antiquité ne croyaient pas qu’il existait vraiment des dieux zoomorphes : dans le secret des naos, les prêtres, érudits et lettrés, voyaient les dieux comme des concepts – en fait comme des hiéroglyphes – tandis que le bon peuple s’attendait vraiment à rencontrer un type avec une tête de chacal dans l’au-delà. C’était merveilleux et surtout beaucoup plus simple à comprendre.

La vulgarisation scientifique – et, avec Jean Rostand, je revendique ce terme, tant pis pour ceux qui pensent que le peuple est vulgaire – profite d’une invention portée par le prosélytisme religieux : l’imprimerie. Malheureusement, les sciences ne jouissent pas de toutes les facilités de diffusion dont profitent les croyances. D’abord, et surtout, parce que nous ne pouvons pas déformer la réalité à notre aise ; autrement dit, il est impossible de nous limiter à ce que vous avez envie d’entendre (ou à ce que vous ne voulez surtout pas entendre pour “vendre du papier”). Ensuite, parce qu’à peine débarrassé de l’emprise de ceux qui croyaient être les seuls à en être dignes, le savoir devient si colossal qu’il s’isole à nouveau par une spécialisation croissante : chaque discipline doit alors inventer son propre langage. Or, si les “savants” eux-mêmes peinent à se comprendre entre eux, comment les comprendre lorsqu’on n’est pas soi-même savant ?

Pour les vulgarisateurs que nous sommes, maintenir l’équilibre entre les raccourcis exagérés qui nous feraient basculer dans l’erreur et le discours jargonneux qui rebuterait les plus motivés d’entre vous, tient désormais de l’exploit. Malgré nos efforts, Espèces ne se lit pas comme Mickey magazine, et ce parce qu’il est parfois impossible de contourner les termes qui désignent précisément la réalité scientifique sans passer par des périphrases, sources de confusion. Alors oui, nous avons besoin de votre aide pour continuer à bien faire ce métier difficile et, si nous ne pouvons vous garantir la facilité, nous pouvons vous promettre ceci : vos efforts seront toujours récompensés.

Le titre de ce dossier, Les surprises de l’évolution est emprunté à Stephen Jay Gould – grand paléontologue, mais aussi grand vulgarisateur – qui sous-titra ainsi son livre sur l’histoire du gisement fossilifère de Burgess : La vie est belle. Il résume dans cette phrase ce que j’aimerais savoir dire aussi bien que lui : « Évidemment, les grands espoirs que je fonde sur ce livre ne tiennent que si vous, lecteurs, consentez un petit effort […] Oh ! bien sûr vous pouvez sauter les passages portant sur les descriptions anatomiques […] mais, je vous en prie, ne le faites pas car sinon vous ne vous rendrez jamais compte à quel point le “drame de Burgess” est passionnant et beau ».

Cécile Breton


Saint Jérôme (patron des vulgarisateurs) traduisant la Bible, par Le Caravage (cliché Web gallery of art/Creative Commons).

mercredi 13 janvier 2016

Un poisson sème la zizanie pour échapper à ses prédateurs

Le poisson Pomacentrus moluccensis sait sortir de la gueule du loup (photo Paul Asman and Jill Lenoble, CC BY 2.0). 

Les récifs coralliens ne sont pas toujours paisibles pour les myriades de jeunes poissons qui y grandissent. Bon nombre de prédateurs viennent piocher dans leurs rangs, par surprise ou en les coursant hors de leurs abris minéraux. Le long de la grande barrière de corail australienne, un petit poisson nommé Pomacentrus moluccensis sait néanmoins se sortir des situations les plus critiques.
Un banc de poisson le long de la Grande Barrière de corail (photo Brian GratwickeCC BY 2.0).

Des chercheurs ont étudié de près les rencontres entre cette espèce et son prédateur le plus acharné, le poisson Pseudochromis fuscus. Ils ont découvert que le Pomacentrus émet des substances chimiques sitôt que son épiderme subit la moindre blessure sous les dents de son agresseur. Ces substances se diffusent rapidement dans l’eau et ont pour effet d’attirer d’autres prédateurs parmi les Pseudochromis des environs. Une façon d’en finir plus vite ? Au contraire : l’ultime chance d’en réchapper ! Car ces chasseurs ne rappliquent que pour une chose : voler sa proie au premier qui l'a attaquée. Se comportant en cleptoparasites – le terme scientifique pour ce genre de malandrins qui laissent aux autres la peine de repérer et de capturer une proie – ils se disputent énergiquement avec leur concurrent pour lui faire cracher le morceau. Tactique incertaine, car s’ils y parviennent parfois, la cohue qu'ils provoquent offre aussi une brève opportunité de fuite à la proie. Selon des observations sous-marines et des expériences en aquarium,  celle-ci a 40 % de chances d’échapper à son agresseur quand elle parvient à attirer d’autres prédateurs, contre 5 % dans le cas contraire. Paradoxalement, signaler sa présence aux prédateurs peut donc s’avérer salutaire dans les situations les plus désespérées.



Référence : Lönnstedt O. M., McCormick M. I. 2015 - “Damsel in distress: captured damselfish prey emit chemical cues that attract secondary predators and improve escape chances”, Proceedings of the Royal Society B 282 (doi:10.1098/rspb.2015.2038).

Julien Grangier