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lundi 22 août 2016

21_Dessine-moi le pôle Sud













L’Antarctique fut dessinée bien avant d’être vue, rêvée avant même d’être approchée. Aristote pensait que pour équilibrer un globe si chargé de terres en haut - celles où il habitait - il devait bien y avoir “quelque chose” en bas. Nommé Ant-Arctique par opposition à l’Arctique, ce monde d’en bas n’a été longtemps que le négatif du monde d’en haut : une sorte d’anticontinent.

Toutes les conjectures sur ce monde-miroir se basent alors sur le monde connu que, dans l’Antiquité, on imagine entièrement habitable et habité. La preuve en est que, lorsque le navigateur grec Pythéas décrit les brumes et les glaces du septentrion, il ne fait que provoquer l’hilarité générale. Avec la théorie de la terre plate imposée par les docteurs de l’Église au Moyen Âge, il devient inutile de rééquilibrer le globe et la Terra australis incognita disparait des cartes. Avec la Renaissance renait le doute et le continent austral apparait puis disparait au gré des hésitations. En tout état de cause, et pendant plus de vingt siècles, les contours du continent fantôme onduleront en fonction de l’humeur des cartographes.
En lieu et place d’un continent, les premiers explorateurs qui approchent le cercle polaire au XVIIIe siècle ne trouvent que des iles. Leurs noms de baptême : iles Froides (archipel du Prince-Édouard), iles Arides (archipel de Crozet) ou ile de la Désolation (Kerguelen) en disent long sur l’état d’esprit de ces découvreurs. Si les baleiniers et les chasseurs de phoques tournent déjà autour depuis longtemps, on s’accorde à dire que personne n’a vu le continent austral avant la date avancée de 1820, soit à peine vingt ans avant que Dumont d’Urville n’y pose le pied.
Il faudra attendre d’être capable d’envoyer des engins dans l’espace pour faire le portrait de ce continent masqué par les glaces depuis 35 millions d’années. Des cartes que le changement climatique redessine aujourd’hui, si bien qu’on est en droit de se demander si la dernière carte de l’IGN, réalisée en 2007 à l’occasion de l’Année polaire internationale, n’est pas déjà tombée dans le domaine historique.

Mais ce n’est pas le seul problème que nous avons rencontré avec Arnaud Rafaelian - dont le talent s’exprime, entre autres, dans la réalisation des cartes d’Espèces -, pour vous présenter cette partie du monde. Comment situer Saint-Paul et Amsterdam qui se trouvent au large de… rien ? Comment montrer précisément, sur un petit bout de papier, les Terres australes et antarctiques françaises qui regroupent des iles aussi éloignées que Kerguelen, à 2 000 km de l’Antarctique et Tromelin, à quelques encablures de Madagascar ? Et ceci en sachant que les espèces dont nous vous parlons ne respectent aucunement les limites administratives ! Sur les planisphères habituels, l’Antarctique se déforme en largeur, sur les vues des pôles, l’Afrique et l’Australie sont à peine reconnaissables. Les antipodes ne nous résistent pas seulement par leur climat extrême, mais aussi par la difficulté à (se) les représenter. C’est sans doute pour cela que, malgré le froid et les vents violents qui les tourmentent sans cesse, l’albatros à sourcils noirs et  le gorfou sauteur y coulent encore des jours paisibles.

Cécile Breton



Les limites connues (en pointillé) du continent antarctique en 1657 dans l’Atlas Major de Jan Janssonius (1588-1664).



mardi 9 août 2016

L'infinie solitude des fruits malgaches

Un Vari noir et blanc (Varecia variegata) mange un fruit dans un sanctuaire animalier (photo Charlesjsharp, CC BY 3.0).

A Madagascar, certains fruits, pourtant grands et comestibles, pourrissent au sol. Situation étrange car, si les plantes produisent de tels fruits, c'est normalement que des animaux les mangent et favorisent la dispersion des graines. Une nouvelle étude publiée dans PNAS montre que ces fruits sont en fait les vestiges d'un ancien mutualisme dont la disparition a de lentes mais profondes conséquences sur la composition des forêts.

Les pièces manquantes du puzzle sont des lémuriens. Tous n'ont certes pas disparu de Madagascar, mais les plus grands si. En tout, 17 espèces, dont beaucoup de lémuriens « géants »,  n’ont pas survécu à l’intensification des activités humaines à Madagascar au cours des deux derniers millénaires. 
Crâne de Pachylemur insignis, un lémurien au moins deux fois plus imposant que les plus grandes espèces actuelles. Il aurait disparu il y a un peu plus de 1000 ans (photo Laurie R. Godfrey, CC BY-SA 3.0).


Ce déclin de la faune est devenu un problème critique pour les plantes produisant de grands fruits, trop difficiles à ingurgiter pour les petits lémuriens restants. Des chercheurs ont accumulé des preuves du phénomène en étudiant la morphologie crânienne des lémuriens passés et actuels et en reconstruisant l’évolution de leur régime alimentaire. Les résultats montrent notamment que la forme du crâne et des mâchoires influence fortement la taille maximale des fruits que les primates consomment.

Les arbres du genre Canarium, par exemple, en font la douloureuse expérience. Au cours de l’évolution, les espèces sud-asiatiques de ce genre ont eu tendance à développer des fruits de plus en plus grands. Cette course au gigantisme a atteint son maximum à Madagascar, où l’action des lémuriens de grande taille a certainement renforcé ce type de sélection.
Fruits d'un arbre du genre Canarium (photo Forest and Kim Starr, CC BY 2.0).

Mais ce qui était avantageux hier devient un sérieux handicap aujourd’hui ! Les lémuriens du genre Varecia, en danger critique d’extinction, sont désormais les derniers lémuriens frugivores assez grands pour consommer couramment ces fruits. S’ils disparaissent, les Canarium deviendront, comme bon nombre d’autres plantes malgaches, orphelines des partenaires qui autrefois les dispersaient. Leurs populations seraient alors condamnées à se recroqueviller lentement sur elles-mêmes, au risque de disparaître à leur tour.
Un lémurien du genre Varecia dans la réserve naturelle de Betampona, à Madagascar (photo Adam Britt, CC BY 3.0).


Référence : Federman S., Dornburg, A., Daly D. C., Downie, A., Perry H. P., Yoder A. D., Sargis E. J., Richard, A. F., Donoghue, M. J., Baden A. L. 2016 - “Implications of lemuriform extinctions for the Malagasy flora”, PNAS, sous presse (doi: 10.1073/pnas.1523825113).

Julien Grangier