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samedi 1 décembre 2012

06_Méfiez-vous des images






Dans l’ambiance pré-apocalyptique qui baigne le bouclage de ce numéro, nous aurions été curieux de voir monter de la mer la « bête qui avait dix cornes et sept têtes » dont parle saint Jean, ne serait-ce que par intérêt pour l’anatomie d’un animal portant 1,4285714 corne par tête. Contre toute attente, c’est le yéti qui (res)sort du bois. En effet, en cette fin novembre 2012, une vétérinaire texane a lâché une bombe sur la toile : grâce à des analyses ADN (non encore publiées et réalisées sur… quoi ?) elle est parvenue à prouver que non seulement le sasquatch existait bel et bien mais aussi qu’il aurait aggravé son cas en fautant avec des femelles Homo sapiens. En mai, c’était un généticien britannique et un zoologiste suisse qui se lançaient dans l’analyse des “nombreux échantillons” du yéti. On attend de leurs nouvelles.

Après tout, il semble aussi logique qu’Homo sapiens ne soit pas la seule espèce à peupler la terre aujourd’hui, que paraissait évidente à J. C. Nott et R. Gliddon, en 1854, la raison pour laquelle le profil du Noir s’intercale si parfaitement entre celui du chimpanzé (prognathe) et de l’Apollon du Belvédère (rétrognathe). Il n’y a pas de fumée sans feu.

Bien malgré lui, Darwin a rendu l’homme-singe possible, voire probable, et provoqué une chasse frénétique au “chaînon manquant”, frénésie à laquelle on doit l’un des canulars les plus réussis de l’histoire de la paléontologie : l’homme de Piltdown (Homo (Eoanthropus) Dawsoni). Il faudra, en effet, plus de 40 ans pour comprendre que ce crâne n’était qu’un habile assemblage entre une mandibule d’orang-outan et un crâne médiéval humain.

Craniométrie, phrénologie ou ADN, les outils changent, les idées reçues restent, véhiculées par des raccourcis efficaces comme « l’homme descend du singe » et des images simplistes. C’est contre ces images que Stephen Jay Gould nous met particulièrement en garde, évoquant l’illustration des milliers de fois reproduite montrant sapiens (dressé) guidant les autres hominidés (courbés) sur le chemin du progrès. Flattant notre ego, encourageant notre paresse à la réflexion, les images s’incrustent définitivement dans notre imaginaire.

On peut légitimement espérer que l’homme entre le Grec et l’animal figurant sur cette planche a définitivement disparu de l’esprit de la plupart d’entre nous ; mais, comme le souligne Frédéric Joulian, nous comparons encore hommes et singes en distribuant les bons et les mauvais points. Ne cherchons pas seulement chez les singes ce qu’ils peuvent nous apprendre de nous.

Il y a dans le mythe de l’homme-singe un peu de sur-homme (grand et fort) et un peu de sous-homme (à l’esprit lent). Cet incontournable de la cryptozoologie incarne notre idée de l’animalité. C’est pourquoi la réapparition de l’indestructible icône du yéti, paré de justifications génétiques, est si inquiétante.
Cécile Breton


L’échelle des races humaines selon Nott et Gliddon dans Types of Manking (1854). Pour S. J. Gould, qui reproduit cette planche dans La mal-mesure de l’homme, le crâne du chimpanzé a été volontairement augmenté et la mâchoire du Noir allongée.

samedi 1 septembre 2012

05_Questions d'échelle






«  Figurez-vous une substance qui pourrait tenir la Terre dans sa main, et qui aurait des organes en proportion des nôtres ; et il se peut très bien faire qu’il y ait un grand nombre de ces substances : or concevez, je vous prie, ce qu’elles penseraient de ces batailles qui nous ont valu deux villages qui a fallu rendre.  »



Ainsi parla le géant Micromégas aux hommes qu’ils percevaient à peine au travers de sa loupe de fortune en diamant. À l’époque où Voltaire écrit ce conte philosophique, le microscope est une occupation de salon. Si le procédé est connu depuis longtemps, ce n’est qu’au XVIIIe puis au XIXe siècle qu’il permettra des avancées scientifiques notoires. La notion d’atome est encore telle que l’a définie Démocrite : une construction théorique – un peu comme ce qu’était le Boson de Higgs il y a encore quelques mois – basée sur le postulat que, descendant vers les plus petits constituants de la matière, on doit bien parvenir à “ce que l’on ne peut pas couper”, en grec : atomos. Aristote – qui, j’en suis désolée, revient régulièrement dans ces éditoriaux – pouffa, arguant que la matière était constituée des quatre éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air, et qu’il serait bien présomptueux d’aller chercher plus loin. Le débat fut clos pour quelques siècles, comme c’est souvent le cas après ses interventions.

Mais, avant les physiciens et après les philosophes, les biologistes se sont aussi posé la question. Ils “sentaient” bien, même s’ils ne les voyaient pas, que certaines choses s’agitaient aux limites de leur perception et agissaient dans leur dos, pas toujours à leur profit. Les animalcules des alchimistes ou les germes des médecins prennent corps grâce à notre gloire nationale : Louis Pasteur. La découverte de Pasteur (ou plutôt l’application qu’il en a faite) a eu une incidence oubliée : mettre fin à l’une des plus longues polémiques de l’histoire des sciences, la génération spontanée. On doit reconnaître à Louis-Archimède Pouchet (outre son patronyme handicapant), dernier défenseur de cette théorie synthétisée par… Aristote et réfutée expérimentalement en 1668, qu’elle était soutenue encore au début du XIXe siècle par d’autres gloires nationales dont Étienne Geoffroy Saint-Hilaire et Jean-Baptiste Lamarck. En effet, la biogénèse qui stipule que la vie ne peut naître que de la vie, est à l’origine d’une avancée médicale sans précédent : l’infection est maîtrisée grâce à la stérilisation des milieux. Ceci dit, la question demeure quant à la poule primordiale, celle qui pondit l’œuf originel (ou inversement), et le débat court toujours, à une autre échelle, certes, celle des origines de la vie.

Le monde microbien, la cellule, l’ADN, l’atome, le proton, le quark… ces mises en abîme donnent le vertige, imbriquant des mondes dans des mondes, des écosystèmes dans d’autres écosystèmes. Plus que la médecine, c’est peut-être le thème de ce numéro d’Espèces, qui tend à prouver que vivants, nous sommes déjà des écosystèmes complexes dont les occupants nous maintiennent en vie. Leurs batailles – dont parlait Voltaire – provoquent des déséquilibres susceptibles de nous anéantir.

Mais trouvons une consolation dans le fait que, même privés de vie, nous donnerons naissance à un autre écosystème… sans le secours de la génération spontanée.
Cécile Breton




vendredi 1 juin 2012

04_Tout le monde (se) ment







Dans quelques jours, le 28 juin, nous fêterons le tricentenaire de la naissance de l’auteur du Contrat social… 300 ans d’âge pour celui qui parlait de vertu, d’égalité, de simplicité volontaire (pardon, ça, c’est Pierre Rabhi…) et rêvait d’un monde idéal, un Éden, où l’homme n’aurait pas été perverti par sa propre société : Jean-Jacques Rousseau. Inutile, après cette brève introduction qui résume trop mal sa pensée, de discuter l’héritage qu’il nous aurait laissé. On pourrait le déceler un peu partout, dans les “vues idéales” du Paléolithique des livres de vulgarisation du XIXe siècle où trônaient des chasseurs chevelus accoudés sur leur gourdin, entourés d’aimables bêtes, perpétuant sans cesse l’image de saint Eustache (au centre) entouré des habitants de la forêt (autour), jusqu’à Blanche-Neige gazouillant de concert avec les oiseaux. Le choix de l’animal est, dans ce cas capital : en effet, une représentation de saint Eustache entouré de scolopendres et de rats irait à l’encontre de l’effet recherché.

Cette image idéalisée de la nature nous ne la devons pas à Rousseau, elle est ancrée dans les cerveaux d’Homo sapiens sous bon nombre de latitudes et depuis les temps les plus reculés, mais, nous le savons, l’amour se confond souvent avec le désir de possession, il ne faut donc pas aimer comme Bernardin de Saint-Pierre, qui pensait que la Nature avait été façonnée, comme la femme, pour le bien-être de l’homme. Au risque de faire de la philosophie de sitcom, il faut l’aimer comme elle est, rats et les scolopendres inclus, d’un amour sans espoir puisque, au risque d’en décevoir quelques-uns, elle ne nous le rendra pas : elle s’en fout. Cette façon de personnaliser la “nature” comme si elle pouvait s’incarner, comme si nous n’en faisions pas partie, est, bien sûr, parfaitement anachronique - voire idiote - et je sens déjà le poil de certains se hérisser.

J’en reviens donc à Rousseau, car je dois vous mettre en garde contre les idéalistes qui sont des gens dangereux, simplifiant souvent le monde à leur avantage, sacrifiant tout ce qui va à l’encontre de leur construction mentale, en amour comme dans bien d’autres domaines. La grande capacité d’invention et d’abstraction de l’homme lui permet de voir plus loin autant qu’elle l’aveugle. Les idéaux nous portent, mais nous tendent des pièges. Pas de place pour les plantes cultivées dans notre idée de la nature idéale, pas de scolopendre dans l’arche de Noé… cette biodiversité que nous voulons sauvegarder est déjà tronquée.

Alors, l’idéalisme serait-il une sorte de mensonge réconfortant et au lieu de « Tout le monde ment », le Dr House ne devrait-il pas répéter « Tout le monde se ment » (l’allusion à la philosophie de sitcom n’était pas gratuite) ? Est-ce que tout cela n’entre pas en résonance avec les mots de Jean-Pierre Dupuy disant que l’on « ne parvient pas à croire ce que l’on sait », comme nous le cite Pierre-Henri Gouyon ?

Lorsque vous avez vu ces deux avions percuter les tours jumelles, dans les premières secondes, y avez-vous cru ? Moi non. Et lorsque l’on vous dit que nous sommes à la veille de la 6e crise d’extinction, en toute honnêteté, y croyez-vous vraiment ? ou plutôt… parvenez-vous à le “savoir” ?
Cécile Breton


Myriapodes issus du Dictionnaire universel d’histoire naturelle Atlas Zoologie Tome II reptiles et poissons par C. d’Orbigny

jeudi 15 mars 2012

Des cyber-escargots pour produire de l'électricité


Extraire de l'électricité à partir d'un escargot est dorénavant possible. Les applications imaginables à cette découverte sont innombrables. (photo Journal of the American chemical society)




Dorénavant, une douzaine d'escargots ne feront pas que saliver les gourmets : lui permettront-ils de s'éclairer ? Des chercheurs s'attachent à produire de l'électricité en adjoignant une pile à biocombustible à des animaux. D'ici à ce que l'on remplace les centrales nucléaires par des champs d'escargots, le pas est infranchissable pour l'heure. Mais l'idée fait son chemin. Et la perspective est celle de batteries cybernétiques autoalimentées.

Ces derniers mois, le laboratoire d'Evgeny Katz, à l'université de Potsdam, dans l'Etat de New-York, s'est transformé en terrarium. Une douzaine de mollusques y batifolent. Ils sont légèrement différent de ceux que l'on croise en Europe : il sont devenus des cyborgs et transportent des implants miniatures de haute technologie. Les chercheurs de cette université américaine ont implanté une minuscule pile à biocombustible dans chaque individu. Celle-ci se charge de créer de l'électricité à partir du glucose et de l'oxygène qui composent le "sang" de l'escargot. "Ils rampent, boivent et mangent à leur faim. Nous prenons garde à les maintenir heureux et en bonne santé", assure Evgeny Katz à Nature. Au début du mois de mars, ce dernier a publié dans le Journal of american chemical society un article faisant le point sur ces recherches.

C'est ainsi que les escargots de ce scientifique ont produit jusqu'à 7,45 microwatts. Une paille. Mais qui pourrait permettre le développement d'autres applications. En effet, les travaux menés dans l'Etat de New York sont loins d'être les seuls au monde. Des publications déjà réalisées ou à venir traitent ainsi de piles à biocombustibles implantées sur des scarabées. Une autre étude américaine a permis d'obtenir de bons résultats à partir de cafards.

Parmi ces laboratoires, celui de Philippe Cinquin, à l'université Joseph-Fourier de Grenoble. En implantant des piles à glucose sur des rats, ce chercheur et son équipe envisagent, à terme, d'implanter des piles à biocombustibles sur l'être humain. L'objectif serait ainsi de faire fonctionner des appareils médicaux tels qu'un pacemaker.

Au delà de l'application purement médicale, le Département américain de la Défense a vu en ces animaux cyborgs une possible application militaire. Ainsi, depuis plus d'une décennie, des chercheursont équipé des insectes et autres rampants de piles à combustibles permettant de faire fonctionner de minuscules senseurs et antennes. Lâchés, par exemple, dans les lignes ennemies, ces insectes pouvaient collecter une masse importante d'informations utiles dans un but militaires.

Plus la pile est petite, moins l'énergie électrique extraite est importante. C'est pour cela que des scientifiques cherchent maintenant à en tester sur des animaux plus grands. Ainsi, Evgeny Katz affirme vouloir travailler sur une pile à biocombustible adaptée au homard.

 Julien Balboni
(texte largement inspiré d'un article de Nature, publié le 12 mars)


mercredi 7 mars 2012

Les Alpes de demain sans gentiane ni edelweiss ?

L'edelweiss, célèbre plante de montagne et l'un des symboles de la Suisse pourrait disparaître des Alpes d'ici quelques décennies, selon une importante étude pan-européenne. (photo Tobias Gasser)

L'Europe des nations tousse et grogne. Celle des chercheurs parvient néanmoins à s'unir. Il y a plusieurs semaines, 32 chercheurs de 13 pays européens ont publié une vaste et ambitieuse étude sur les effets du changement climatique sur la flore alpine. Pilotée par l'université de Vienne, ce projet intitulé GLORIA (Global observation research initiative in alpine environments) s'est voulu de longue haleine.

 Ainsi, 60 sommets alpins de 17 massifs différents et 764 espèces de plantes ont été étudiées de près. L'étude a débuté en 2001, avant qu'une nouvelle vague de mesures ne soit menée en 2008. Et c'est seulement début 2012 que le tout a été publié, dans Nature climate change. Sont concernés la majeure partie des massifs européens, de l'Oural à la Sierra Nevada, des Highlands à la Crète. Il s'agit de la première étude paneuropéenne sur ce sujet.

De manière plus précise, les chercheurs ont assigné à chaque espèce étudiée un "rang" d'altitude lié à sa "performance" maximale, c'est à dire l'altitude où l'espèce concernée s'épanouira au mieux. Comme l'altitude et la température sont directement liées - on dit communément qu'en moyenne, on perd 1°C par tranche de 100 mètres - l'endroit où la plante a trouvé refuge sept ans plus tard traduit sa réponse au changement climatique.

Que révèle cette étude ? "Des résultats clairement significatifs", insiste Ottar Michelsen, chercheur à l'Université norvégienne de science et technologie, cité par sciencedaily.com. "Vous pouvez trouver des études qui montrent des effets locaux (du réchauffement, ndlr) et où les chercheurs ont voulu montrer un effet global. Mais dans cette étude, tellement de massifs dans tellement d'endroits sont concernés et montrent un effet qu'au final, le résultat est important."

Pas de nouveauté saisissante à se mettre sous la dent, non. Le lien entre réchauffement et évolution des communautés végétales était connu. Mais l'aspect continental de cette évolution n'avait jamais été mis en évidence.

C'est ainsi que les chercheurs ont constaté que de nombreuses plantes adaptées au froid étaient remplacées, en l'espace de sept ans, par des espèces appréciant plus la chaleur. Plus grave, selon les conclusions menées par cette étude, plusieurs espèces d'edelweiss et de gentiane, tolérantes au froid et typiques des Alpes, pourraient disparaître de nos massifs d'ici quelques décennies seulement. "Cette transformation à l'échelle continentale peut être considérée comme une réponse rapide de l'écosystème au réchauffement climatique. C'est significatif quand on rassemble ces données venues de toute l'Europe", précise l'étude. Et concernant les espèces comme l'edelweiss, poursuivent les chercheurs poursuivent : "le déclin des espèces de très haute altitude a été observé de manière récente dans les Alpes".

Le réseau GLORIA regroupe plus de 100 équipes de recherche issues de six continents qui étudient les régions de montagne du monde entier. Une nouvelle étude sera réalisée en 2015. C'est à la fin de la décennie que l'on saura si un coeur amoureux aura pris soin de l'étoile des neiges...

Julien Balboni

jeudi 1 mars 2012

03_Des animaux de pierre






Des coquilles de bivalves au sommet des montagnes, des crânes de cyclopes dans la toundra, des vertèbres géantes qui sortent de terre… Il y a eu, depuis l’Antiquité, autant de tentatives d’explication à ces mystères qu’il y a eu de naturalistes. Les fossiles naissent-ils par génération spontanée ? Sont-ils des images d’organismes gravées dans la pierre par des rayons cosmiques ? Le Déluge est une explication toute trouvée à l’existence d’organismes marins montagnards, mais certains remarquent, dès le Moyen Âge, qu’ils n’ont pas d’équivalent dans le monde vivant connu. Bernard Palissy se risque à avancer que «  leur genre s’est perdu  », mais le problème est vite réglé par le bûcher. Comment ? Noé aurait-il été partial dans son inventaire et Dieu ainsi “rectifié” sa création, emportant, dans sa colère contre l’homme, les moules avec les pêcheurs ? On découvre d’ailleurs, en 1726, l’un de ces pêcheurs : l’Homo diluvii testis, l’homme témoin du Déluge, mais Cuvier va jouer les trouble-fête en identifiant une (grande) salamandre.

C’est bien à Cuvier que l’on doit cette prise de conscience : des bêtes ont existé, qui n’existent plus. Mais, jusqu’ici, celles-ci sont relativement “acceptables”, même si elles ne sont pas vraiment des salamandres, pas vraiment des éléphants, et que le débat faire rage entre Lamarck et Cuvier, entre transformisme et fixisme pour expliquer ce prodige.

Au XIXe siècle, peu à peu, les découvertes de bêtes plus monstrueuses les unes que les autres se multiplient et on renonce à faire rentrer “au chausse-pied” ces animaux fossiles dans les catégories existantes. Il faut se rendre à l’évidence, ces bêtes sont très éloignées du monde du connu. On se jette alors à corps perdu dans la réinterprétation de toutes les vertèbres de géants et de serpents de mer qui dorment dans les collections des muséums d’Europe… Il faudra attendre 1842 pour que Richard Owen invente le terme de “Dinosauria”, dont l’étymologie, terribles lézards, en dit long sur la fascination qu’ils sont destinés à exercer sur nous jusqu’à nos jours.

Il a fallu des centaines d’années d’un cheminement intellectuel long et douloureux pour admettre que la fin de la vie – contre laquelle l’humanité se débat à grand renfort de religion et de philosophie depuis des millénaires –, s’applique non seulement aux individus, mais aussi à des espèces entières ; pas seulement à quelques insignifiants coquillages, mais à de terrifiants prédateurs, à des mastodontes hérissés de cornes et carapaçonnés comme des chars d’assaut, dont la puissance et les dimensions obligent à rebâtir les muséums autour d’eux. Alors, le premier coup de matraque assené par Darwin à l’humanité en la replaçant au sein du monde animal prend – en a-t-il eu conscience ? – une autre ampleur : il pèse désormais sur nous cette inacceptable menace, l’éventualité de la fin de notre espèce. On dirait que la paléontologie s’acharne à tenter de rendre l’homme modeste… sans grand succès, il est vrai.

Mais on aurait tort de ne voir qu’un avertissement dans ces immenses architectures de pierre se déployant sous les verrières de nos muséums. Les dinosaures ont aussi la vertu de nous faire rêver d’un fabuleux monde perdu et de donner une vie aux dragons des légendes, bêtes hier fabuleuses mais aujourd’hui bien réelles. On ne peut que leur rendre hommage pour les générations d’enfants qui, attirés par le mythe, se sont passionnées pour une science : la paléontologie.
Cécile Breton


Saint Georges terrassant le dinosaure par Paolo Uccello
(cliché Wikipedia commons).

mercredi 29 février 2012

Quand des puces géantes parasitaient les dinosaures à plumes




Une puce géante du Jurassique moyen (Mongolie intérieure, Chine) (photo © Huang)


Elles devaient provoquer de gigantesques démangeaisons et considérablement géner leurs hôtes. Peut-être même leur volaient-elles dans les plumes. C'est aujourd'hui qu'une équipe internationale, conjointe du Muséum national d'histoire naturelle et du CNRS a publié dans Nature une découverte tout à fait innovante et surprenante. Dirigés par André Nel du laboratoire "Origine, structure et évolution de la biodiversité", les chercheurs ont mis au jour une série d'insectes fossiles datant du Jurassique moyen et du Crétacé inférieur (environ - 165 MA). C'est la première fois que des insectes hématophages - qui se nourrissent de sang - aussi anciens sont ainsi découverts. Selon les chercheurs, ces puces géantes vivaient au détriment de vertébrés terrestres tels que les dinosaures à plumes.



Un fossile de Microraptor, dinosaure à plumes du Crétacé inférieur (130 à 125 MA),
issu de la province chinoise du Liaoning (photo Muséum d'histoire naturelle d'Orléans)


Les fossiles d'insectes dits ectoparasites (parasites externes, vivant à la surface corporelle d'un être vivant) découverts étaient jusqu'à présent nettement plus récents (- 65 MA et après). Il n'existait pas auparavant de fossiles datant de l'ère Mésozoïque (où apparaissent dinosaures et mammifères). Ces puces géantes ont été trouvées dans les provinces du Liaoning et de Mongolie intérieure, en Chine, particulièrement réputées pour leurs innombrables fossiles de l'ère Tertiaire. L'étude de ces pièces a montré que les puces étaient dotées d'adaptations morphologiques pour transpercer la peau de leurs hôtes et s'y accrocher. Ce qui laisse à penser que les victimes de ce parasitisme étaient couverts de plumes, comme on le sait déjà depuis des années grâce à des spécimens comme Microraptor ou Anchiornis (voir photos).


Anchiornis (qui signifie "proche de l'oiseau") était un dinosaure théropode vivant au milieu du Jurassique (160 à 155 MA). Il était recouvert de plumes, pouvait voler, mais pas planer. (photo Muséum d'histoire naturelle d'Orléans)


Cette découverte montre que l'ectoparasitisme, cette interaction biologique complexe entre plusieurs organismes, est une activité très ancienne, qui existait donc déjà au Jurassique (entre - 200 et 145 MA). En outre, la science est aujourd'hui en possession d'informations supplémentaires concernant les formes intermédiaires entre Mécoptères et les siphonaptères modernes (c'est à dire les puces que l'on connait de nos jours).
En ce moment, une exposition particulièrement intéressante sur les dinosaures à plumes est à voir au Muséum d'histoire naturelle d'Orléans. Intitulée le Chant des dinosaures, cette expo permet notamment de découvrir quelques pièces exceptionnelles venues de Chine comme Anchiornis ou Microraptor, tels qu'illustrées ici par des images. Par ailleurs, le public pourra admirer le fossile de la plus ancienne plante à fleur connue, Archaefructus liaoningensis.

 Julien Balboni

lundi 27 février 2012

Le drame de la surpêche finit par faire réagir la communauté internationale


Filets, chaluts et casiers font partie des symboles des techniques de pêche qui ont permis l'augmentation importante de la "productivité". Au prix d'un déclin dramatique des stocks. (photo Marcin Marucha)


L'information a été relayée sans pour autant retenir une très forte attention. Elle n'est pas pour autant anodine, bien au contraire. Vendredi, la Banque mondiale a annoncé la création d'une alliance mondiale pour une meilleure gestion des océans. Cette alliance va d'abord chercher à recueillir 300 millions de dollars (224 M€) auprès d'Etats pour son fonctionnement et sa coordination. Mais l'objectif réel est parvenir à lever 1,2 M$ en cinq ans. Une somme importante qui aura pour but premier la reconstitution des stocks de poisson, gravement touchés par la surpêche. Cette alliance entend rassembler les ONG, les Etats et la Banque mondiale, qui dépensent déjà des centaines de millions dans la défense des océans, sans pour autant être coordonnés.

 La première nouvelle est déjà politique. Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, avait été nommé, comme le veut l'usage, par le président américain, à l'époque George W. Bush. Ancien adjoint de Condoleeza Rice au secrétariat d'Etat, cet ancien avocat remplaçait alors le fameux "faucon néoconservateur", Paul Wolfowitz, qui avait à l'époque plutôt hérissé les diplomates français défavorables à une intervention en Irak. Zoellick, donc, est un conservateur, et son mandat va s'achever le 30 juin. Il laissera à son successeur d'assumer la création de cet ambitieux montage. Par ailleurs, plutôt marqué à droite, il était plutôt connu pour être le nemesis des altermondialistes de tout poil plutôt qu'un écolo chevronné. Mais cet investissement à venir attend également un retour : Robert Zoellick estime à 5 milliards de dollars (3,75 MM€) la perte annuelle nette des entreprises de pêche. Il entend renverser la tendance et "accroître leur bénéfice net de 20 à 30 milliards de dollars (de 15 à 22,5 milliards d’euros)"

C'est dire, donc, à quel point le thème de la surpêche et du déclin des océans est devenu si important qu'il parvient à attirer l'attention d'un poids lourd comme la Banque mondiale. Robert Zoellick a ainsi précisé vendredi :  "(Protéger les océans) est un défi si gigantesque qu’il ne saurait être relevé par un seul pays ou une seule organisation. Nous avons besoin d’une action mondiale coordonnée pour redonner la santé à nos océans. Ensemble, nous nous appuierons sur les excellents travaux déjà réalisés pour répondre aux menaces qui pèsent sur les océans, identifier des solutions réalisables et les faire passer à la vitesse supérieure."

Seconde remarque : n'est-il déjà pas trop tard ? En quelque décennies, la surpêche a proprement vidé les océans. On considère que 85% des zones de pêche sont exploitées à leur maximum, surexploitées ou épuisées. Certaines espèces ont tellement décliné que leur pêche est aujourd'hui protégée (thon rouge, requin-taupe, etc.). L'exemple le plus frappant reste naturellement celui de la morue à Terre-Neuve, un temps richesse nationale, tellement surexploitée qu'elle a disparu des côtes canadiennes, laissant une gigantesque industrie à l'agonie. Malgré un moratoire signé en 1992, jamais la morue n'est revenue à Terre-Neuve.




Comment en est-on arrivé à un tel point de non-retour ? Par l'industrialisation des moyens de pêche, principalement. En construisant des bateaux toujours plus immenses et efficaces, conçus pour répondre une demande croissante de poisson. Et en ouvrant une boîte de Pandore qu'il est bien difficile de refermer. "Le sentiment d'impuissance domine. Les recettes existent mais nous n'avons pas les capacités de les mettre en oeuvre. Le contraste est frappant : l'homme a su conquérir et exploiter le monde marin au cours des deux dernières décennies, mais il ne parvient pas à freiner sin emprise et ce, alors même que la technologie ne cesse d'accroître sa suprématie sur les ressources", écrivaient Philippe Cury et Yves Miserey dans Une mer sans poissons, en 2008. La création d'une alliance mondiale pour les océans pourrait être à même de les faire mentir, si les projets annoncés sont menés à bien. Et notamment l'extension massive du nombre d'aires marines protégées qui ont largement fait leurs preuves à travers le monde, mais pas assez nombreuses (0,7 % de la surface des océans) pour être décisives. A quelques mois de l'inauguration du sommet Rio + 20, le pari semble pris.

 Julien Balboni

vendredi 17 février 2012

La biodiversité en Île-de-France décline à grande vitesse


La huppe fasciée ne niche plus que dans le sud de la région. Moins
de dix couples subsistent en Île-de-France. (photo Georges Olioso)

On connaît principalement la fameuse liste rouge de l’UICN pour ces espèces rarissimes en danger d’extinction, souvent à l’autre bout du monde, comme le rhinocéros de Java ou le cheval de Przewalski. Mais l’Union internationale pour la conservation de la nature a voulu également prendre en compte le milieu urbain dans ses analyses.
C’est ainsi que, ces dernières semaines, plusieurs études sont venues faire le point sur la biodiversité dans les grandes villes, et notamment à Paris et en Île-de-France. Pas de surprise : celle-ci ne se porte pas franchement comme un charme. Natureparif, l’agence régionale pour la nature et la biodiversité, a ainsi calculé qu’une espèce d’oiseaux nicheurs sur quatre est menacée en Île-de-France. Pourquoi les oiseaux nicheurs ? Il sont plus représentatifs et plus facile à comptabiliser que les oiseaux hivernants et/ou migrateurs.

Le bruant jaune, encore bien répandu dans les campagnes franciliennes, a vu sa population diminuer de 20% en dix ans. A ce rythme, il pourrait être considéré comme "vulnérable" lors de prochaines éditions des listes rouges. (photo Denis Attinault)

D’ores et déjà, une dizaine d’espèces ont disparu de la région. C’est le cas de plusieurs oiseaux vivant dans les zones humides, en voie de disparition en Île-de-France. La bécassine des marais, le râle des genêts ont ainsi quitté la région. Le dernier butor étoilé s’est éteint il y a environ une quinzaine d’années.
Pas beaucoup mieux loties sont les espèces considérées en “danger critique d’extinction” comme le busard des roseaux ou la sterne naine. Ceux-là ne disposent plus que de quelques dizaines de couples nicheurs, parfois moins. Leur sort semble jeté. C’est ainsi que sur les 151 espèces d’oiseaux nicheurs recensées dans la région capitale, 39 sont considérées – selon les critères de l’UICN – comme “menacées”. Une espèce sur quatre. Ce constat est à rapprocher de celui résultant de la Liste rouge des oiseaux menacés en France, publiée en mai 2011, qui est exactement le même : 26% des espèces nicheuses menacées. Étonnant vu que l’Île-de-France est l’une des régions les plus urbanisées d’Europe ? Pas franchement si l’on observe les chiffres de plus près : le taux d’espèces classées en “préoccupation mineure” est bien plus important dans l’Hexagone qu’en Île-de-France (62% contre 52%).
Quelles sont les raisons de ce déclin massif proposées par Natureparif ? Principalement le recul important de la qualité environnementale des secteurs agricoles, ainsi que la fragilisation des zones humides, qui reste un point noir partagé avec le reste du pays. Point positif - qui pourrait moins amuser les passants arrosés de guano - les espèces dites "spécialistes du bâti" se portent plutôt bien : parmi les treize existantes dans la région, seule une est considérée comme "quasi menacé", il s'agit du moineau friquet, probablement le plus rural de tous les spécialistes du bâti.

Le coquelicot hybride est en danger critique d'extinction. ©Sophie Auvert (CBNBP/MNHN)


Et hormis les oiseaux, qu’en est-il des autres représentants du vivant ? Sans surprise, ça ne va pas fort du côté des plantes. Natureparif, toujours en partenariat avec le Muséum et le Conservatoire botanique national du bassin parisien, a étudié, ces dernières années, plus de 1500 espèces de flore vasculaire (plantes à fleurs et fougères) indigène à l’Île-de-France. Il s’avère ainsi que, depuis le XVIIIe siècle, 85 de ces espèces ont tout simplement disparu (6% du total), 400 autres sont menacées (26%), dont 128 en risque majeur d’extinction durant les prochaines années (8%).
Les causes majeures du déclin restent les mêmes. Avancée du bâti, changement des pratiques agricoles et recul des zones humides. Ainsi, quelques espèces comme l’adonis d’automne ou la sabline sétacée devraient disparaître dans les années qui viennent. "Et alors" maugréera le lecteur blasé. Dans les villes, il y a moins de fleurs et d'oiseaux, rien de neuf sous le soleil, pas la peine d'en faire des tartines qui obstrueront mes neurones ! L'intérêt ? Ces listes extrêmement précises des espèces menacées - obtenues pour beaucoup grâce à des amateurs passionnées, chasseurs d'images et de bestioles - permettent de faire un point précis sur l'efficacité des programmes de sauvegarde d'espèces menacées. C'est ainsi qu'un oiseau emblématique comme la chouette chevêche a pu voir le nombre de ses représentants augmenter ces dernières années dans la région Île-de-France, grâce à ce type de programme. Côté plantes, le flûteau nageant ou les messicoles ont pu être secourus et sauvegardés. Reste maintenant à poursuivre ce genre d'action afin que la faune commune, celle que l'on n'observe parfois même plus, obnubilés que nous sommes par les espèces plus spectaculaires comme les éléphants, les requins ou les phoques, puisse revenir, parfois dans nos villes.

Julien Balboni

mardi 7 février 2012

Cannibalisme : la faim justifie rarement les moyens


Scène de cannibalisme au Brésil au XVIe siècle, telle que décrite par Hans Staden,
tirée de son livre Nus, féroces et anthropophages (1557).


L’anthropophagie fait probablement partie des derniers tabous de l’être humain occidental, terrible interdit à la fois fascinant et repoussant. Ou comment un homme peut en venir à se nourrir d’un de ses semblables. C’est ainsi qu’un film comme le Silence des agneaux et son personnage principal, Hannibal Lecter, sont instantanément entrés dans l’histoire du cinéma, peut-être même celui de notre inconscient. De la même manière, chaque nouveau fait divers impliquant un cannibale attire l’attention d’un public massif.  “Il y a plusieurs années, le mensuel Photos s’était procuré les images de l’identité judiciaire du fameux cannibale japonais Issei Sagawa, qui avait tué et consommé une étudiante néerlandaise à Paris. Ils avaient tiré leur numéro à un million d’exemplaire”, rappelle Georges Guille-Escuret. Si ce chiffre reste à la discrétion de ce dernier, cet anthropologue, chargé de recherches au CNRS, reste l’un des meilleurs connaisseurs de la question.
 
La semaine dernière, l’Institut de paléontologie humaine de Paris et le musée de l’Homme accueillaient Georges Guille-Escuret, pour une conférence intitulée “Cannibalisme, histoire naturelle d’une bestialité supposée”. Ce chercheur vient de publier le deuxième tome d’une Sociologie comparée du cannibalisme (PUF). Il se bat en priorité pour une reconnaissance du fait anthropophagique.  “Il n’y a pas de sujet plus scabreux que le cannibalisme, qui provoque le dédain et suscite un zèle xénophobe. Cette phobie fait que celui qui s’y intéresse est souvent suspecté de fascination morbide. Mais si l’anthropologie est une science, alors elle doit désactiver cette angoisse, assure-t-il. Beaucoup d’énergie a été déployée pour démontrer l’inexistence du cannibalisme, afin de disculper les peuples primitifs. En quoi serait-il plus honteux d’appartenir à une société de cannibales plutôt qu’à une société de tortionnaires, comme la civilisation occidentale ?”
Car le point principal de la thèse de Guille-Escuret est bel et bien de montrer que le fait pour un humain de manger son semblable n’est en rien un fait ancestral, qui remonterait à l’époque où l’être humain vivait telle une bête. Non, son apparition reste anhistorique – c’est à dire relevant d’une situation exceptionnelle dans une société – et profondément lié à deux éléments : le type de régime politique et la démographie. 

En effet, pour beaucoup de penseurs occidentaux, l’anthropophagie est la négation même de la civilisation. Ce depuis l’Antiquité. Ainsi, pour l’auteur, quand Zeus parvient à survivre au cannibalisme de son père, Chronos, c’est la société qui naît. De la même manière, à l’apparition du christianisme, l’anthropophagie devient sacrilège car l’homme est fait à l’image de Dieu et toucher à sa chair revient à insulter Dieu.

Mais là où le cannibalisme ritualisé s’est propagé, c’est à dire dans de nombreuses sociétés sur plusieurs continents, il répondait à chaque fois à des situations sociales particulières. “Le cannibalisme est toujours marqué par l’Histoire et apparaît durant les crises démographiques. Ainsi, l’exemple des Hurons, en Amérique du Nord, qui reçoivent le maïs au XIIIe siècle. Un à deux siècles plus tard, leur population a été multipliée par trois ou quatre. C’est à ce moment que le cannibalisme est apparu chez eux. L’arrivée des Européens dans les zones de ces peuples a d’ailleurs souvent déclenché ou accéléré ces crises démographiques. Il y a une interaction forte entre cannibalisme et démographie.”
Mais il apparaît assez vite, selon le conférencier, que l’explication du cannibalisme par la faim est largement insuffisante. Au contraire, plutôt qu’une anthropophagie liée par une carence en protéines animales, beaucoup de sociétés l’adoptaient dans un cadre tout à fait ritualisé et “honorable”. C’est ainsi qu’à l’époque où les Jésuites tentaient d’évangéliser l’Amérique centrale et du Sud, ils ont été en contact avec des Aztèques. Ils décrivent ainsi le supplice des prisonniers de guerre, capturés sur le champ de bataille. Pour ces derniers, relate Guille-Escuret en citant les manuscrits jésuites, “c’est une fin honorable d’être tué et mangé par son ennemi. Ma seule inquiétude est d’être tué par un novice, comme un fils de chef”. En effet, l’anthropophagie pouvait servir alors de rite de passage et comme un moyen de “monter en grade” dans une société particulièrement stratifiée. Le cannibale traite ici son ennemi comme son alter ego, “tué mais pas vaincu”. De la même manière, aux îles Fidji, rappelle l’auteur, “il n’y avait pas de pire insulte faite à son ennemi vaincu que de laisser son corps sur le champ de bataille plutôt que de l’emmener afin de le manger”.

Si “il n’existe aucune explication générale au développement de l’anthropophagie”, Guille-Escuret précise néanmoins que “dans toute société hiérarchique avec subordination, un Etat, le cannibalisme cesse d’exister”. Par ailleurs, il ne serait que l’apanage des sociétés mobiles et géographiquement peu enracinées. S’il a ainsi disparu de la surface de la Terre, sous sa forme ritualisée, des réminiscences continuent d’exister. Sous la forme de faits divers réguliers mais ponctuels, un peu partout, mais aussi de faits exceptionnels comme les procès pour cannibalismes à l’encontre de dignitaires japonais durant la Seconde Guerre mondiale, par exemple.
Julien Balboni

A lire, Sociologie comparée du cannibalisme, vol. 1, Proies et captifs en Afrique, Vol. 2, La consommation d'autrui en Asie et en Océanie

jeudi 2 février 2012

L'élevage traditionnel a su préserver la diversité génétique des chèvres corses


© INRA / R. Bouche

Voilà une nouvelle qui saura réjouir nos amis corses : leur tradition d'élevage séculaire (millénaire ?) a sans doute permis de maintenir de manière quasi intacte le patrimoine génétique des chèvres de race corse depuis le Moyen-Âge. Alors que la plupart des chèvres domestiques (Capra hircus) d'élevage industriel voient leurs ressources génétiques chuter du fait de la sélection, la chèvre corse reste vigoureuse, malgré la diminution de sa population, d'année en année. C'est la paléogénétique qui a permis d'établir ces données, comme l'a montré une étude française pluridisciplinaire, publiée en début de semaine dans la revue américaine PloS One.

Tout a commencé il y a une quinzaine d'années dans les montagnes de Corse, à Castellu-di-Rustinu, village de Castagniccia. Une ancienne exploitation caprine datant du Moyen-Âge, de taille importante, y avait été exhumée. Sur ce site archéologique ont été découverts de nombreux ossements de chèvres, datés du XIIe au XIVe siècle. S'en est suivi une série d'études mêlant archéologie, archéozoologie, histoire, mais aussi génétique et paléogénétique, ainsi que des publications, notamment sur l'évolution de la production de viande et de lait dans l'histoire de Corse.

Autre recherche qui nous intéresse plus particulièrement ici : les chercheurs ont voulu estimer l¹évolution de la diversité génétique des chèvres corses, entre le Moyen-Âge et aujourd¹hui. Pour ce faire, une équipe de l¹Institut de génomique fonctionnelle de Lyon a travaillé sur un marqueur neutre, le marqueur mitochondrial. En effet, dans une cellule, le génome mitochondrial est distinct de l'ADN du noyau cellulaire et permet des investigations plus précises sur la diffusion des populations. De plus, il n'est transmis que par la mère et permet d'en savoir plus sur l'évolution génétique d'une espèce et son histoire.

"Nous avons comparé la diversité génétique des spécimens de chèvres de l'époque médiévale avec celle qui existe de nos jours en Corse, mais aussi avec la diversité génétique d'autres chèvres du continent. En observant les résultats, nous nous sommes rendus compte que les chèvres corses médiévales étaient plus proches de la population corse actuelle que de n'importe quelle autre population. Cela veut dire qu'il y a ici une diversité génétique que l'on ne retrouve qu'en Corse", affirme Sandrine Hughes, chercheuse en paléogénomique et évolution moléculaire à Lyon, qui a travaillé au sein de la plate-forme nationale de paléogénétique (Palgene) dépendant du CNRS et de l'ENS de Lyon.

Un patrimoine génétique qui reste à peu près le même durant des siècles sur une île ? Voilà qui paraît logique. Mais qui montre également que les techniques d'élevage sont restées sensiblement les mêmes durant des siècles, voire des millénaires. Et c'est aussi ce qui a permis aux chèvres de race corse (race reconnue depuis 2007 par le ministère de l'Agriculture) de garder leurs couleurs de poils si diverses. L'élevage à la corse ­ - on fera ici l'impasse sur les traditionnelles blagues à forte teneur en subventions européennes et en éleveurs corses - veut en priorité laisser la liberté de circulation à l'animal, qui peut ainsi gambader, grimper et se nourrir en toute tranquillité.

 La chèvre est l'une des premières espèces à avoir été domestiquée, au Moyen-Orient, au Néolithique, au moment de la naissance de l'agriculture. Puis, Capra hircus a été diffusée vers l'Europe, par la Méditerrannée et le Danube, en même temps que les vaches et les moutons. Elle serait arrivée en Corse il y a environ 7 700 ans. Encore aujourd'hui, lorsque des éleveurs tentent d'importer des chèvres domestiques "industrielles", elles parviennent difficilement à s'habituer aux conditions de vie de leurs congénères insulaires, au comportement nettement plus grégaire.

Julien Balboni

mercredi 25 janvier 2012

Des larves de papillons élevées par des fourmis




La femelle Aricoris propitia et la fourmi de feu qui élèvera sa larve.
(photos © 2012 Lucas A. Kaminski and Fernando S. Carvalho-Filho)

Ce n'est pas le Livre de la jungle version insectes mais cela y ressemble fortement. Un article publié ces jours-ci par Psyche : a journal of entomology et rédigé par deux chercheurs brésiliens raconte l'étonnante histoire d'une larve de papillon élevée par des fourmis. Un exemple de plus qui montre les capacités symbiotiques entre fourmis et papillons, déjà observée dans d'autres continents.

 "Les associations symbiotiques entre les larves de papillons et les fourmis ont attiré l'attention des naturalistes d'Europe et d'Amérique du Nord depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle. Mais ces interactions sont peu connues dans la zone néotropicale (c'est à dire l'Amérique du sud, ndlr)", indiquent les chercheurs. Ceux-ci se sont donc intéressés aux premiers stades de la vie d'Aricoris propitia un papillon sud-américain, et en ont tiré d'impressionnantes images inédites.

Les fourmis de feu s'occupent maintenant de la santé de la larve.

Il s'avère ainsi que durant toute la période larvaire, des fourmis de feu (Solenopsis saevissima) se chargent de la protection du "petit" en le mettant à l'abri d'éventuels prédateurs. Puis, une fois que la larve est suffisamment grosse, elle dort la nuit et se repose le jour dans un abri sous-terrain construit par les fourmis ! La larve se nourrit ainsi sur les plantes-hôtes où ses baby-sitters l'ont déposé. Pendant ce temps, les fourmis de feu "profitent" de la présence de la larve pour se nourrir avec le nectar qu'elle produit. Pour les chercheurs, tout indique ainsi que A. propitia est un myrmécophile (c'est à dire vivant en symbiose avec des fourmis) naturel associé aux fourmis de feu.
La journée, les larves, devenues très grosses, se réfugient dans un abri constitué
par les racines d'une plante-hôte, préparé par les fourmis de feu.


Par ailleurs, les fourmis de feu sont connues pour être l'une des espèces les plus invasives de la planète, pouvant même être dangereuses pour l'homme par le venin qu'elles peuvent lâcher par leur dard, quand elles se sentent agressées. Originaires d'Amérique du sud, elles sont arrivées en Amérique du Nord dans les années 1930, via des cargos infestés venant du Brésil. Leur introduction accidentelle s'est produite de la même façon en Australie, en 2001. En 2005, elles ont posé le pied à Manille pour la première fois, venue d'avion des Etats-Unis.

 Julien Balboni

dimanche 8 janvier 2012

La lettre de Jean Jouzel à l'Institut de France

On sait Claude Allègre fâché avec une bonne partie de ses confrères scientifiques. Et le fossé creusé n'est pas prêt de se boucher. Alors que le géochimiste et ancien ministre de l'Education nationale revient dans l'actualité politique par le biais d'un livre sur Nicolas Sarkozy, ses - nombreux - opposants du monde scientifique se défient.

Ces dernières semaines, Claude Allègre a provoqué une succession de démissions au comité sociétal d'EDF après le soutien financier apporté par cette entreprise à Ecologie d'avenir, la fondation dirigée par l'ancien ministre. Avant le philosophe Dominique Bourg, c'était Jean Jouzel, l'ancien président du conseil de l'environnement d'EDF qui a tiré sa révérence, en fin d'année dernière. Jouzel, membre du GIEC et éminent spécialiste mondial de la climatologie ne s'était pas encore exprimé sur ce sujet. Interrogé dimanche par Espèces, il a précisé les raisons qui l'ont poussé à agir ainsi.

"Le vrai problème, ce n'est pas EDF, c'est Allègre. J'ai démissionné car il montre des valeurs que je ne partage pas du tout. Ce n'est pas le fait qu'il soit sceptique sur les travaux des climatologues. Le désaccord, c'est tout à fait sain. Mais le problème est éthique. L'éthique est une valeur complètement absente chez Claude Allègre. On ne traite pas ainsi les gens de "mafieux".

Quelques mois auparavant, 60 académiciens des sciences s'étaient fendus d'une lettre au chancelier du prestigieux Institut de France, qui réunit les cinq grandes académies, pour protester contre la nomination de Claude Allègre comme président du comité d'orientation d'Ecologie d'avenir.

Jean Jouzel avait, lui aussi - et de manière individuelle - écrit au chancelier pour regretter "l'erreur faite" par l'Institut de France. Voici son courrier, daté du 7 novembre :


Ecologie d'avenir se propose"d'aider à développer des analyses et proposer des solutions concernant les questions qui se posent dans les relations entre l'homme et son environnement", précise Claude Allègre, dans son éditorial, sur le site de la fondation. "L'association étroite de la fondation avec l'Académie des sciences et l'Institut de France garantit la qualité scientifique des débats et des propositions qui, nous l'espérons, pourront éclairer le développement économique futur que nous souhaitons durablement en croissance".

A l'origine du conflit entre Claude Allègre et de nombreux scientifiques français, la charge violente contre le GIEC (Groupement intergouvernemental pour l'étude du climat) dans son livre L'imposture climatique, où l'ancien ministre, traitait ses membres "d'imposteurs", participant d'un "système mafieux", "d'ayatollah" et de "fanatiques". Tout cela, Sylvestre Huet, journaliste scientifique à Libération, le raconte très bien dans son blog.

A noter que la fondation Ecologie d'avenir envisage de ne pas traiter de climatologie - qui "n'existe pas en tant que discipline scientifique", expliquait Allègre en 2008 - parmi ses travaux. Pour Jean Jouzel, "le seul fait de ne pas vouloir parler du climat au sein d'une fondation d'écologie est un non-sens".

Julien Balboni

vendredi 6 janvier 2012

La souris, meilleure amie des alcooliques

Un métabolisme bien supérieur à celui de l'être humain
et une mine d'information pour les laboratoires de recherches.

Mercredi, un laboratoire français a annoncé s’être doté d’un vaste laboratoire de recherche sur la dépendance à l’alcool.  Le Grap (Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances) d’Amiens, lié à l’Inserm, affirme ainsi posséder le seul labo en France à utiliser la vaporisation d’alcool pour susciter cette maladie chez l’animal, en l’occurrence des rongeurs (rats ou souris). Pour les chercheurs de l’Inserm, il s’agit de soumettre durant 14 heures par jour leurs sujets à des vapeurs d’alcool. Une fois dépendants, les rats de laboratoires ont ensuite le choix d’appuyer sur un levier de leur cage pour libérer une solution d’alcool à 10%. Et là, très rapidement, les rongeurs se mettent dans des états pas possibles.


C’est ainsi que les chercheurs ont réussi à montrer qu’un rat-témoin, non dépendant à l’alcool, appuie entre trois et six fois moins qu’un rat alcoolo-dépendant sur le “levier-barman” afin qu’on lui serve à boire quelque chose d’un peu fort. L’intérêt applicable de la chose est de pouvoir tester l’efficacité de traitements pharmacologique pour que le cobaye réduise sa consommation.

C’est que les rongeurs ont un métabolisme particulier qui en fait potentiellement d’incurables soiffards. Bien qu’en règle générale, ils ne soient pas friands du goût de l’alcool, ils ont une capacité métabolique “quatre fois supérieure à celle d’un être humain” *

Coïncidence des calendriers, une équipe de chercheurs de l’Université de Californie, aux Etats-Unis, a découvert qu’une drogue permettait aux rongeurs de “désaoûler” à une vitesse jamais vue. Publiée dans le Journal of Neuroscience et reprise sur sciencenews.org, cette nouveauté ouvre de grandes perspectives. Ainsi, ces chercheurs américains ont montré que des rongeurs sous drogue – dihydromyricetine ou DHM, issue de l’arbre asiatique Hovenia dulcis – peuvent boire tout en étant capable de se mouvoir et de retrouver leur chemin. Et, qui sait, de se souvenir de leur digicode, de retrouver leurs clés dans leur poche et de rentrer chez eux sans réveiller leur compagne.

Blague à part, l’autre effet “miracle” de cette DHM,  selon Steven Paul, du Weill Cornell Medical College, à New York, est d’empêcher l’addiction à l’alcool ! Les chercheurs envisagent maintenant de tester la DHM sur l’être humain.

Gaver des cobayes d’alcool est une méthode utilisée depuis longtemps par la recherche. Et le rapport des animaux avec ce produit a été maintes fois étudié. C’est ainsi qu’à partir des années 1980, le psychologue américain Ronald K. Siegel, lui aussi de l’université de Californie, avait développé toute une théorie autour de l’alcoolisme latent de certains animaux. Pour lui, ils peuvent s’enivrer intentionnellement pour lutter contre le stress et les souffrances de leur vie. Siegel ne s’est pas arrêté là, il a également voulu connaître et décrire les réactions d’animaux sous l’effet de drogue. Son plus bel ouvrage : mettre des éléphants sous LSD. Peut-être que dans leurs rêves, ces derniers voyaient des petites souris roses danser. Ou tituber, plutôt.




Julien Balboni


*Sept grammes d’alcool pur par kilo de poids et par jour sont une quantité “suffisante”, selon les chercheurs de l’Inserm, pour qu’un rongeur soit considérée sous alcool. A titre de comparaison, un homme de 80 kilos devrait ingurgiter 560 grammes d’alcool pur par jour pour tenir la distance. C’est à dire, à la louche,  56 demis de bière.

mercredi 4 janvier 2012

Le "crocoduck", la meilleure blague des créationnistes


Et s'il était le chaînon manquant ?

L'histoire n'est pas récente mais tellement croustillante qu'un léger rappel ne peut pas faire de mal. Le temps a passé. Kirk Cameron n'est plus ce jeune enfant-star, placardé sur les murs de millions d'adolescentes à travers le monde. La série télé Quoi de neuf docteur ? (Growing pains, en VO) a pris fin depuis longtemps, la carrière de Cameron s'est ralentie et a pris le tour évangélique d'un militantisme pro-créationnisme. Jusqu'ici, rien de si étonnant. Mais Kirk Cameron est alors invité à un débat sur l'existence de Dieu retransmis par le network ABC, en mai 2007.

 Au bout d'une longue diatribe anti-darwiniste, Cameron finit par brandir une grande image représentant un être hybride à tête de crocodile et pattes de canard. Un "crocoduck". Stupeur dans l'assistance. L'argument développé par l'ancien Mike Seaver est le suivant : "la non-existence du crocoduck prouve que Dieu existe et que la théorie de l'Evolution ne vaut rien". En gros, il s'agit de montrer que si les espèces évoluaient, alors il existerait des fossiles d'espèces de transition tel cet hilarant crocodile-canard. La méthode de Cameron est simple : il s'agit d'interpréter de manière grossière les bases de la théorie de l'évolution afin de la tourner en ridicule. Ce faisant, il ne parvient généralement qu'à convaincre les personnes totalement pas au fait de la théorie darwinienne.


Le petit Kirk Cameron a bien grandi.

Naturellement, cet argument a été reçu par une volée de bois vert de la part de la communauté scientifique. Au point que le célèbre théoricien de l'évolution, le britannique Richard Dawkins, a cru bon de réagir dans son livre Le plus grand spectacle du monde. Il a ainsi expliqué - fallait-il en venir là ? - que les canards ne descendent pas des crocodiles.

L'histoire aurait pu simplement s'arrêter là. Mais l'évolution sait parfois faire de très bonnes blagues. En 2009, des chercheurs de l'Université de Chicago découvrent au Niger de nouveaux fossiles appartenant à un dinosaure inconnu portant un bec similaire à celui d'un canard et une longue queue qui pourrait être celle d'un crocodile. Le specimen est nommé Anatosuchus minor, ou "duck-croc", le crocodile canard. Un éclat de rire géant secoue le monde qui gravite autour du débat création/évolution. Finalement, le crocoduck existait bel et bien. Et la blague continue à tourner. Chaque année, des internautes peuvent voter pour le "golden crocoduck award" qui récompense le discours créationniste le plus drôle/pathétique/stupide. Vous pouvez voter pour désigner le vainqueur 2011. Le crocoduck a encore de beaux jours devant lui.

 J. Balboni

mardi 3 janvier 2012

Pour en finir avec la fin du monde


Sous les eaux du Laacher See, en Allemagne,
la caldeira d'un immense volcan. (photo DR)

Demi-surprise pour ceux qui utilisent le mail de yahoo : sur la page de garde, d'ordinaire franchement racoleuse, figure un bel article intitulé sobrement "un énorme volcan menace l'Europe". Après la crise financière, la crise volcanique ? "Un volcan allemand caché sous les eaux serait sur le point d'exploser et inquiète les scientifiques", poursuit l'accroche de l'article.  

Une rapide investigation - c'est à dire un clic un brin honteux - permet d'en savoir plus sur l'origine de cette information. Il faut aller chercher du côté du Daily Mail, célèbre quotidien britannique, qui se réjouit visiblement de mettre de l'huile dans le volcan médiatique. Pour les non-anglophones et ceux qui ne désireraient pas s'abimer les yeux, l'article se résume en quelques phrases citant - sans les nommer - des "scientifiques" et "chercheurs" inquiets de l'activité du Laacher See. Plus quelques phrases chocs, du style "la menace cachée : le Laacher see semble tranquille mais sous ses eaux gît un volcan qui pourrait dévaster l'Europe".  

Pour information, le Laacher see est effectivement un volcan toujours en activité. Il est entré en éruption pour la dernière fois il y a 12 900 ans, causant des dégâts gigantesques et répandant ses cendres à travers l'Europe. Durant l'éruption, sa chambre magmatique s'est vidée et a provoqué un effondrement. Puis a donné naissance à une vaste caldeira, c'est à dire une vaste dépression circulaire entourée de falaises. La caldeira de Laach a enfin été recouverte d'eau. Le lac fait 3,5 km2 pour une profondeur maximale de 55 m et se situe à quelques dizaines de kilomètres de Bonn et Cologne. Son activité volcanique se poursuit et des dégazages modestes et réguliers s'y produisent, ainsi que des épisodes sismiques de faible intensité  

Pour le Daily mail et les nombreux médias qui l'ont repris à travers l'Europe, ces dégazages montrent que le danger est à nos portes. Pour le volcanologue Erik Klemetti, il s'agit d'abord et surtout d'une paresse journalistique doublée d'une volonté de surfer sur la vague de la fin du monde, prétendument prévue pour 2012. Du clic assuré. "C'est comme si le Daily Mail titrait "Un énorme cyclone va s'abattre sur Londres" après avoir vu un nuage à travers la fenêtre", sourit-il, jaune. Selon Erik Klemetti, aucun élément ne vient montrer que l'activité de dégazage du volcan a augmenté ces derniers mois. Il embraye : "laissez moi le répéter : il n'y a aucune preuve scientifique pouvant indiquer la fin du monde en 2012". On est à peine le 3 janvier, l'année risque d'être longue. Si on en voit le bout !  

Julien Balboni

lundi 2 janvier 2012

Pour l'encens, ça sent le sapin

C'est à partir du frankincense, cette résine aromatique issue des arbres du genre Boswellia,
qu'est tiré l'encens. (cliché DR)

Trouver de l'encens naturel risque d'être de plus en plus compliqué. L'encens Frank (en anglais, frankincense), cette résine naturelle à la base de la fabrication de l'encens est "condamnée", selon une publication britannique, le Journal of Applied Ecology, reprise par l'AP. Cet encens est obtenu à partir du Boswellia, un genre d'arbre que l'on ne retrouve que dans la corne de l'Afrique et la péninsule arabique. Il en est produit environ 2000 tonnes par an, dans le monde.

L'étude des chercheurs, de nationalité éthopienne et hollandaise, menée sur une douzaine d'espèces de Boswellia, a montré que, chaque année, entre 6 et 7 % des adultes de chacune de ces espèces mourraient, soit par le feu, par des attaques d'insectes ou du fait des herbivores friands de ses branches. Au final, la quantité d'arbres pourraient être divisé par deux en quinze ans et par dix en cinquante ans.

Pour Frans Bongers, de l'université hollandaise de Wageningen, interrogé par l'AP, "l'évolution actuelle des populations de Boswellia est clairement insoutenable. Nos modèles montrent que d'ici 50 ans, ces populations seront décimées, et que la production d'encens est condamnée". La surexploitation serait-elle une cause de ce déclin ? Pour les chercheurs, la réponse est non : il faut aller chercher les raisons du côté du brûlis, de la pâture et des capricornes (ou longicornes) qui pondent leurs oeufs sous l'écorce des arbres.

Conséquence : l'encens pourrait disparaître à moyen terme des lieux de culte où il est encore largement utilisé. Et quitter la liste des cadeaux apportés par les rois mages au petit Jésus.

Julien Balboni