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mercredi 16 septembre 2015

Les nématodes font du covoiturage à bord des limaces

Les limaces du genre Arion, taxis pour nématodes (photo Tristram Brelstaff, CC BY-SA 2.0).

C'est une star en biologie : le nématode Caenorhabditis elegans est un organisme modèle dont l'étude approfondie a permis des progrès significatifs en biologie moléculaire et en biologie du développement. Son génome est intégralement séquencé, on connaît le nombre de cellules qui compose son corps, on l'a même fait séjourner à bord de la station spatiale internationale. Et, paradoxalement, on ne sait toujours pas grand chose de sa biologie en milieu naturel. Cette lacune limitant forcément les interprétations qu'on peut faire de tous ces travaux de laboratoire, les chercheurs se penchent de plus en plus sur la question. 
Le nématode Caenorhabditis elegans (photo Bob Goldstein, CC BY-SA 3.0).
Un constat s'impose : il n'est pas facile de se loger pour Caenorhabditis. En effet, l'environnement qu'il affectionne, fruits et autres tissus végétaux en décomposition, sont éphémères et dispersés. Or, ces animaux peuvent difficilement se déplacer d’un fruit pourri à un autre, car ils sont minuscules (pas plus d’un millimètre) et très sensibles à la dessiccation. Selon une nouvelle étude publiée dans BMC Ecology, ils seraient toutefois capables de se disperser efficacement en voyageant sur  et même dans – différents animaux de plus grande taille. En  échantillonnant les composts de plusieurs parcs et jardins, des chercheurs de l’Institut de zoologie de Kiel en Allemagne ont ainsi établi que limaces, isopodes et chilopodes servaient couramment de taxis aux nématodes. 
Les isopodes Porcellio saber font partie des transporteurs de Caenorhabditis (photo Acélan, CC BY-SA 3.0).

Les intestins des limaces du genre Arion, en particulier, grouillent de nématodes vivants, non seulement sous forme de larves dites "dauer" (une forme robuste adoptée quand les conditions sont difficiles), mais aussi d’adultes visiblement en pleine forme.  Avalés par les limaces qui se nourrissent dans les composts, ils peuvent même traverser intégralement leur tube digestif et en ressortir frais comme des gardons – autant qu’on puisse l'être après ce genre de voyage. Ils peuvent résister à cet environnement agressif pendant au moins un jour et sans doute parfois plus longtemps.  

Cette association nématodes-limaces est un nouvel exemple de "phorésie", méthode par laquelle un animal se déplace grâce à un autre. Les limaces ne semblent pas souffrir de cette présence clandestine, mais les biologistes soupçonnent que cette interaction peut facilement basculer vers le parasitisme. L'objectif est donc maintenant de savoir si, en plus d'être transportés gratuitement, ces vers se nourrissent aussi dans l’intestin de leurs hôtes.


Référence : Peterson C., Hermann R. J., Barg M-C., Schalkowski R., Dirksen P., Barbosa C., Schulenburg H. 2015 - “Travelling at a slug’s pace : possible invertebrate vectors of Caenorhabditis nematodes”, BMC Ecology (doi: 10.1186/s12898-015-0050-z).

Julien Grangier

mercredi 9 septembre 2015

L'épopée des crustacés pirates

Un Pentastomida parasite extrait du système respiratoire d'un python (spécimen du Muséum d'histoire naturelle de Berlin, photo José Grau de Puerto Montt, CC BY-SA 3.0).

Ne vous fiez pas à leur apparence vermiforme: les Pentastomida sont bien des Crustacés. Aux mœurs peu communes, il est vrai. Chez la plupart des 140 espèces actuelles, les adultes parasitent le système respiratoire de vertébrés terrestres (oiseaux, reptiles, mammifères). Un mode de vie dont on ignorait presque totalement les origines, car les fossiles de Pentastomida sont rarissimes et n’étaient représentés que par des spécimens juvéniles sans hôte définitif. Ces lacunes ont finalement été comblées avec la découverte en Angleterre de plusieurs fossiles d’adultes encore attachés à leurs hôtes et vieux de 425millions d’années. 

Examinés sous toutes les coutures par tomographie et modélisés par ordinateur, les parasites ont pu être décrits très précisément. Leur espèce a été baptisée Invavita piratica et classée dans un ordre auquel appartiennent certains parasites actuels. Surtout, leurs hôtes ont été identifiés: il s’agissait non pas de vertébrés, mais d’ostracodes, petits crustacés marins dont le corps est protégé par une carapace.
Reconstitution d'un Pentastomida fossile (en haut, en rouge) fixé à son hôte, un ostracode (image tirée de Siveter et al. 2015).
Ces scènes de parasitisme figées dans la roche montrent aussi que les Pentastomida du passé étaient des parasites externes, une grande partie de leur corps restant libre. Cela suggère qu’ils cherchaient activement leur hôte avant de s’y fixer. Bien avant de devenir endoparasites de vertébrés terrestres, les Pentastomida ont donc été ectoparasites d’arthropodes aquatiques. L’ingestion d’ostracodes parasités par des vertébrés de l’époque pourrait avoir amorcé ce changement de mode de vie.


Siveter D. J., Briggs D. E. G., Siveter D. J. & Sutton M. D., 2015 – “A 425-million-year-old Silurian Pentastomid parasitic on Ostracods”, Current Biology (doi: 10.1016/j.cub.2015.04.035).


Julien Grangier

mardi 1 septembre 2015

17_Et pourquoi pas ?




[…] C’est l’Ennui ! L’œil chargé d’un pleur involontaire,
II rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
– Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère !
Charles Baudelaire, Au lecteur, 

Les Fleurs du Mal (1857).



Surprise ! Espèces, revue de référence sur les sciences de la vie et de la Terre, Espèces héraut de la connaissance objective, vous parle de cryptozoologie et se pare - ultime affront - d’une tortue à trois paires d’yeux en une. Oui. Vous vérifiez la couverture et non, ce ne sont pas les adeptes de la secte du grand Migou qui ont mis une habile contrefaçon sur le marché. Alors, vous vous dites que cet interminable été caniculaire a dû provoquer ce pétage de fusible éditorial et que, décidément, on ne peut se fier à personne (et certainement pas aux journalistes). Vous affûtez votre plume pour nous envoyer un petit mot rageur accompagné de la résiliation de votre abonnement…

Je comprends la violence de votre réaction, mais je dois vous rappeler que les membres de notre rédaction sont des Homo sapiens. Or, cette espèce, à laquelle - j’ai le regret de vous l’apprendre, car elle n’a pas très bonne presse - vous appartenez aussi, a une fâcheuse tendance à s’illustrer par des contradictions à donner des migraines à Auguste Comte. Mais, avant de faire un autodafé de votre collection d’Espèces, demandez-vous si ces contradictions sont véritablement contradictoires.

Rappelons que la merveilleuse machine qui palpite entre nos deux oreilles, animée d’un mouvement perpétuel, consomme 15 à 20 % de notre énergie (un conseil, et malgré ce que disent les magazines féminins, si vous voulez maigrir, pensez). L’exubérante activité de notre encéphale peut rapidement devenir un problème s’il est livré à lui-même. Sans aucun objet sur lequel se focaliser, c’est alors ce “monstre délicat”, l’Ennui - avec sa capitale initiale -, qui sort du bois. La fragile mécanique tourne alors sur elle-même à vide et, affamée, se nourrit dans les poubelles, accouchant parfois du pire, nous menant dans les territoires désolés du délire, du fantasme, de l’idéalisme échevelé, de la folie… En effet, et si on le laisse faire, notre esprit ne tend pas naturellement vers le cartésianisme (là encore, j’ai le regret de vous l’apprendre) et, s’il est l’outil de notre connaissance rationnelle du monde, il s’interpose sans cesse, dans le même temps, entre nous et la réalité. Est-ce un mal ? Question d’équilibre, bien sûr, mais que serait notre vie si notre imagination ne le disputait pas sans cesse à notre raison ? Un insipide épisode de Batman sans Robin.

Alors comment occuper raisonnablement cet organe hyperactif ? Comment le distraire tout en satisfaisant son penchant naturel à la divagation ? Mais, – Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère !, en faisant de la science, bien sûr ! Car la science est cet “état de grâce” dont parle Gérald Bronner qui consiste à faire faire à notre cerveau ce qu’on lui dit de faire tout en le divertissant habilement. Elle nous permet d’explorer les provinces de l’étrange bien à l’abri dans la bulle de notre rationalité.

Alors ne voyez dans la cryptozoologie qu’une manière distrayante d’exercer la méthode scientifique, un lieu privilégié où une tortue à trois yeux a le droit d’exister… Pourquoi pas ? Mais seulement jusqu’à preuve du contraire.
Cécile Breton

Le docteur Franz Joseph Gall, inventeur d’une pseudoscience qui fit fureur au xixe siècle, la phrénologie. Celle-ci se proposait de définir  le caractère d’une personne par la forme de son crâne. Il est ici entouré de sa collection de crânes d’Adam et Ève, Noé, Homère, du cheval de Troie, etc. (caricature de Martinet, 1807).