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mercredi 16 décembre 2015

Les rapaces trahis par leurs bavardages

Une mésange tourne ostensiblement autour d'un hibou moyen-duc (photo nebirdsplus, CC BY-NC-ND 2.0).

Les mésanges ont le discutable honneur de figurer parmi les casse-croûtes préférés des rapaces. Pour faire face, elles lancent des cris d’alarme lorsqu’un de ces prédateurs approche afin de prévenir leurs troupes. Le danger est repéré visuellement, mais pas seulement. Une nouvelle étude montre que les mésanges savent aussi identifier différentes espèces de rapaces en écoutant simplement leurs cris, et qu’elles lancent ensuite une alarme spécifique pour chaque type de menace encouru.

Ces oiseaux à l’ouïe fine sont la mésange à tête noire (Poecile atricapillus) et la mésange de Gambel (Poecile gambeli), toutes deux communes en Amérique du Nord. Les biologistes ont scruté leurs réactions face aux cris enregistrés de trois espèces de rapaces aux stratégies de chasse différentes. L’épervier brun (Accipiter striatus), assez agile pour capturer de petites proies, et la chevêchette naine (Glaucidium gnoma), chassant à l’affût, sont pour elles deux prédateurs redoutables. L’autour des palombes (Accipiter gentilis), plutôt attiré par des proies corpulentes, représente une moindre menace.
Les deux mésanges étudiées (P. atricapillus en haut, P. gambeli en bas) et les rapaces auxquels elles sont confrontées (de gauche à droite : chevêchette naine G. gnoma, épervier brun A. striatus, autour des palombes A. gentilis) (photos respectivement A. Delray - The Forest Vixen, Ron Knight, Dominic Sherony, NatureShutterbug et F. Dahlmann, Creative Commons).

Les enregistrements des deux premiers rapaces, les plus dangereux, ont déclenché chez les mésanges des cris d’alarmes plus nombreux que ceux de l’autour des palombes. Autrement dit, l’alerte rouge n’est déclenchée que pour les menaces les plus élevées. Mais des analyses poussées révèlent que, dans les cris déclenchés par l'approche simulée de l'épervier, les sons à hautes fréquences sont plus nombreux que lorsqu'il s'agit de la chevêchette : il existe donc plusieurs niveaux "d'alerte rouge".

Cette subtilité permettrait aux mésanges d'adapter leur réponse au type de risque signalé par l'alerte : se cacher si c’est un épervier qui peut surgir à tout moment et de n'importe où grâce à son vol rapide et imprévisible ; s'approcher bruyamment de l'intrus pour le faire fuir si c’est une chevêchette qui vole plus lentement et ne chasse que dans les environs immédiats de son perchoir. 

Les passereaux étaient déjà connus pour inclure dans leurs alertes des informations sur le type de menace repéré – terrestre ou aérienne par exemple – mais c’est la première fois qu’un tel niveau de précision est démontré. 


 Référence : Billings A. C., Greene E., Maria De La Lucia Jensen S. 2015 - “Are chickadees good listeners? Antipredator responses to raptor vocalizations”, Animal Behaviour 110 : 1-8 (doi: 10.1016/j.anbehav.2015.09.004). 


 Julien Grangier


samedi 5 décembre 2015

Une fleur qui pêche les chasseurs


Chenille du papillon du papillon de nuit Heliothis phloxiphaga s'attaquant à une fleur d'Aquilegia eximia (Californie, cliché É. LoPresti).

Organismes fixés au sol par leurs racines, les plantes ne peuvent fuir devant les herbivores. Elles ont donc développé différents modes de défense, directs comme des épines acérées, ou indirects, comme le recours à des aides externes, les prédateurs des herbivores (comme l’acacia qui sécrète des substances nutritives pour les fourmis qu’il héberge). Mais comment rameuter ces derniers ? Certaines plantes les attirent en leur fournissant abri ou nourriture. Mais que faire si la plante ne dispose d’aucun de ces appâts ? 

Chez Aquilegia eximia, une ancolie endémique de Californie, une étonnante astuce a été sélectionnée : cette plante très collante englue de nombreux petits arthropodes qui, ne pouvant s’échapper, finissent par mourir sur place et, en recouvrant la plante, attirent non seulement les charognards mais aussi des prédateurs carnivores susceptibles d'attaquer ses ennemis. Des chercheurs américains ont voulu mesurer le bénéfice de cette attraction pour l’ancolie. Ils ont ainsi comparé les préjudices subis par deux lots d’A. eximia, un "nature" et l’autre débarrassé chaque semaine de ses charognes. Et le résultat est sans ambiguïté : le lot "nettoyé" a subi de nombreux dommages, en particulier au niveau de ses fleurs, à la différence du lot resté "sale". 

Ce mode de défense indirecte est donc efficace et apparemment assez commun puisque les chercheurs ont recensé des plantes collantes potentiellement piégeuses dans plus de 110 genres et 49 familles. Reste à trouver quel est le "chant de sirène" qui attire les insectes "touristes", selon les expressions des auteurs. 


Insectes "piégés" par diverses espèces de plantes recensées par les auteurs de l'étude (Clichés É. LoPresti).


Référence


LoPresti E. F., Pearse I. S. et Charles G. K., 2015 - “The siren song of a sticky plant : columbines provision mutualist arthropods by attracting and killing passerby insects.” Ecology. http://dx.doi.org/10.1890/15-0342.1

Christine Dabonneville

jeudi 19 novembre 2015

Les papillons du Groenland rétrécissent

La fritillaire arctique Boloria chariclea (photo Walter Siegmund CC BY-SA 3.0).

Le réchauffement global ne fait pas seulement fondre les glaces de l’Arctique, il réduit aussi la taille des papillons. C’est ce que révèle une étude menée sur le long terme dans la station biologique de Zackenberg, au nord-est du Groenland. Dans cette région, les données météorologiques de la période 1996-2013 montrent que les températures printanières moyennes augmentent et que la fonte des neiges se produit de plus en plus tôt. Sur cette même période, deux espèces de papillon (Boloria chariclea et Colias hecla) ont été suivies dans le cadre d’un vaste programme de recherche sur la biodiversité arctique. Une corrélation étonnante ressort nettement : plus le printemps vécu par les chenilles est chaud, plus les ailes des papillons adultes, l’année suivante, sont petites. L’effet est net chez les deux espèces de papillons, aussi bien pour les mâles que pour les femelles.
La région de Zackenberg, où a été menée l'étude (photo NTNU Vitenskapsmuseet CC BY 2.0).

Les causes exactes de ce phénomène sont encore difficiles à cerner. Les insectes sont des animaux poïkilothermes, c’est-à-dire que leur température interne varie avec celle du milieu. Le métabolisme des larves, dont dépend la taille finale des adultes, est donc fortement influencé par la température ambiante. Mais les effets peuvent aussi être indirects, puisqu’un temps plus ou moins chaud peut affecter l’abondance des ressources alimentaires disponibles dans l'environnement. Des recherches supplémentaires sont donc nécessaires pour démêler les différentes voies par lesquelles le réchauffement du Groenland pourrait réduire la taille des papillons.

Quels que soient les mécanismes en jeu, la découverte suscite quelques inquiétudes quant au devenir de ces insectes. On estime que le réchauffement global représente déjà un « risque extrême » pour les deux papillons – comme pour la plupart des animaux arctiques   car ils peuvent difficilement migrer plus au nord. Leur envergure déclinante laisse penser qu’ils seront en outre contraints à voyager sur des distances de plus en plus courtes, ce qui pourrait affecter leurs capacités de reproduction et de dispersion.



Référence : Bowden J. J., Eskildsen A., Hansen R. R., Olsen K., Kurle C. M., Høye T. T. 2015 - “High-arctic butterflies become smaller with rising temperatures”, Biology Letters 11 : 20150574 (doi: 10.1098/rsbl.2015.0574).

Voir aussi

Espèces n°17 – Août 2015 : La thermorégulation chez les insectes, de la cigale à la fourmi par Laura Pernet, Cindy Aubernon et Damien Charabidze (université Lille 2) P. 44-49


Julien Grangier

vendredi 23 octobre 2015

Pourquoi les forêts tropicales ont besoin de (grands) poissons



Le poisson Brycon hilarii, auxiliaire des arbres dans les eaux du Brésil (photo David Morimoto CC BY-SA 2.0).

Dans les forêts tropicales, la surchasse affecte non seulement certains animaux, mais aussi toutes les espèces qui dépendent d'eux pour se reproduire. En effet, de nombreux animaux sont frugivores, si bien que leur déclin a des répercussions importantes sur la dispersion des graines. Cela a été mis en évidence pour plusieurs mammifères, comme les éléphants ou les singes, mais le rôle des poissons n'a pas encore reçu toute l’attention qu’il méritait. Pourtant près de 300 espèces, dont la moitié vivent en Amérique du Sud, se nourrissent de fruits tombés dans l’eau et assurent ainsi efficacement la dispersion des graines dans leurs excréments. Une étude vient de souligner les effets importants que la surpêche pourrait avoir sur la végétation des zones humides de ce continent.

Les chercheurs ont travaillé dans deux régions distinctes : l’Amazonie colombienne, et le Pantanal au Brésil. Des rivières en crue plongent de larges portions de ces territoires sous plusieurs mètres d’eau pendant 5 à 6 mois par an.
Forêt inondée en Amazonie colombienne (photo Dave Lonsdale, CC BY 2.0).
Les poissons frugivores dispersent jusqu’à 50 % des espèces de plantes à fruits bordant ces eaux. Toutefois, de plus en plus ciblés par les pêches commerciales et récréatives, certaines populations ont chuté de 90 %. Les poissons les plus grands sont les plus touchés, en raison de l’intérêt qu’ils suscitent pour les pêcheurs et des lois instaurant des tailles minimum de prise. Problème : les poissons de grande taille sont les meilleurs vecteurs de dispersion pour les plantes, et ce à plusieurs titres :

Les grands poissons dispersent plus, et plus loin

Non seulement les poissons les plus grands dispersent les graines sur de plus longues distances, mais ils consomment aussi des fruits de tailles plus variées que les petits. Certaines graines mesurant plusieurs centimètres ne pourraient tout simplement pas être ingérées par les petits poissons délaissés par les pêcheurs. Ils transportent donc une plus grande diversité de plantes.

Taille maximale enregistrée pour chaque espèce de poisson frugivore étudiée (genres Myloplus, Brycon, Mylossoma et Piaractus) (photos S. B. Correa et J. K. Araujo, image tirée de Correa et al. 2015 - Biological Conservation).

Ils protègent mieux les graines…

La taille des poissons augmente aussi la probabilité que les graines restent intactes après leur ingestion, condition indispensable à leur future germination. Même s’ils en croquent quelques-unes au passage, les poissons de grande taille avalent beaucoup de graines intactes. En revanche, plus les poissons sont petits, plus leur bouche est étroite, et plus la proportion de graines mâchées est élevée. 

… et augmentent leur chance de germer

Parmi les graines intactes ayant échappé aux dents des poissons, celles de plusieurs espèces de plantes ont plus de chances de germer après avoir transité dans le système digestif d’un grand poisson. L’effet est particulièrement net dans les communautés d'Amazonie : allongez le poisson d'un centimètre et le taux de germination augmente de 17 % en moyenne ! Cela serait dû au temps de transit plus élevé dans les intestins des grands poissons, ce qui ferait subir aux graines des changement physiques ou chimiques favorisant plus tard la germination.
Les fruits de l'arbuste Mouriri guianensis sont dispersés par les poissons frugivores du Pantanal (photo Frutos Atrativos do Cerrado, CC BY-NC-SA 2.0).

En ciblant les plus grands individus au sein de chaque espèce, la surpêche des poissons frugivores risque donc d'affecter, indirectement mais gravement, la dispersion et la germination de nombreuses plantes des zones humides d’Amérique du Sud, un habitat qui couvre tout de même 15 % du continent. Un risque d’autant plus fort que les  poissons semblent disperser des graines qu'oiseaux et mammifères dédaignent. En cas de disparition des poissons les plus efficaces, certaines plantes pourraient perdre d'irremplaçables alliés.



Référence : Correa S. B., Araujo J. K., Penha J. M. F., Nunes da Cunha C., Stevenson P. R., Anderson J. T. 2015 - “Overfishing disrupts an ancient mutualism between frugivores fishes and plants in Neotropical wetlands”, Biological Conservation 191 : 159-167 (doi: 10.1016/j.biocon.2015.06.019).


Voir aussi 
Espèces n°4 - Juin 2012 : Les poissons frugivores de l’Amazone par Bruno Corbara (CNRS/université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand) P. 74-75

L'impact de la chasse sur la dispersion des graines en forêt tropicale (supplément internet à Espèces n° 4) par Bruno Corbara

Julien Grangier

mercredi 16 septembre 2015

Les nématodes font du covoiturage à bord des limaces

Les limaces du genre Arion, taxis pour nématodes (photo Tristram Brelstaff, CC BY-SA 2.0).

C'est une star en biologie : le nématode Caenorhabditis elegans est un organisme modèle dont l'étude approfondie a permis des progrès significatifs en biologie moléculaire et en biologie du développement. Son génome est intégralement séquencé, on connaît le nombre de cellules qui compose son corps, on l'a même fait séjourner à bord de la station spatiale internationale. Et, paradoxalement, on ne sait toujours pas grand chose de sa biologie en milieu naturel. Cette lacune limitant forcément les interprétations qu'on peut faire de tous ces travaux de laboratoire, les chercheurs se penchent de plus en plus sur la question. 
Le nématode Caenorhabditis elegans (photo Bob Goldstein, CC BY-SA 3.0).
Un constat s'impose : il n'est pas facile de se loger pour Caenorhabditis. En effet, l'environnement qu'il affectionne, fruits et autres tissus végétaux en décomposition, sont éphémères et dispersés. Or, ces animaux peuvent difficilement se déplacer d’un fruit pourri à un autre, car ils sont minuscules (pas plus d’un millimètre) et très sensibles à la dessiccation. Selon une nouvelle étude publiée dans BMC Ecology, ils seraient toutefois capables de se disperser efficacement en voyageant sur  et même dans – différents animaux de plus grande taille. En  échantillonnant les composts de plusieurs parcs et jardins, des chercheurs de l’Institut de zoologie de Kiel en Allemagne ont ainsi établi que limaces, isopodes et chilopodes servaient couramment de taxis aux nématodes. 
Les isopodes Porcellio saber font partie des transporteurs de Caenorhabditis (photo Acélan, CC BY-SA 3.0).

Les intestins des limaces du genre Arion, en particulier, grouillent de nématodes vivants, non seulement sous forme de larves dites "dauer" (une forme robuste adoptée quand les conditions sont difficiles), mais aussi d’adultes visiblement en pleine forme.  Avalés par les limaces qui se nourrissent dans les composts, ils peuvent même traverser intégralement leur tube digestif et en ressortir frais comme des gardons – autant qu’on puisse l'être après ce genre de voyage. Ils peuvent résister à cet environnement agressif pendant au moins un jour et sans doute parfois plus longtemps.  

Cette association nématodes-limaces est un nouvel exemple de "phorésie", méthode par laquelle un animal se déplace grâce à un autre. Les limaces ne semblent pas souffrir de cette présence clandestine, mais les biologistes soupçonnent que cette interaction peut facilement basculer vers le parasitisme. L'objectif est donc maintenant de savoir si, en plus d'être transportés gratuitement, ces vers se nourrissent aussi dans l’intestin de leurs hôtes.


Référence : Peterson C., Hermann R. J., Barg M-C., Schalkowski R., Dirksen P., Barbosa C., Schulenburg H. 2015 - “Travelling at a slug’s pace : possible invertebrate vectors of Caenorhabditis nematodes”, BMC Ecology (doi: 10.1186/s12898-015-0050-z).

Julien Grangier

mercredi 9 septembre 2015

L'épopée des crustacés pirates

Un Pentastomida parasite extrait du système respiratoire d'un python (spécimen du Muséum d'histoire naturelle de Berlin, photo José Grau de Puerto Montt, CC BY-SA 3.0).

Ne vous fiez pas à leur apparence vermiforme: les Pentastomida sont bien des Crustacés. Aux mœurs peu communes, il est vrai. Chez la plupart des 140 espèces actuelles, les adultes parasitent le système respiratoire de vertébrés terrestres (oiseaux, reptiles, mammifères). Un mode de vie dont on ignorait presque totalement les origines, car les fossiles de Pentastomida sont rarissimes et n’étaient représentés que par des spécimens juvéniles sans hôte définitif. Ces lacunes ont finalement été comblées avec la découverte en Angleterre de plusieurs fossiles d’adultes encore attachés à leurs hôtes et vieux de 425millions d’années. 

Examinés sous toutes les coutures par tomographie et modélisés par ordinateur, les parasites ont pu être décrits très précisément. Leur espèce a été baptisée Invavita piratica et classée dans un ordre auquel appartiennent certains parasites actuels. Surtout, leurs hôtes ont été identifiés: il s’agissait non pas de vertébrés, mais d’ostracodes, petits crustacés marins dont le corps est protégé par une carapace.
Reconstitution d'un Pentastomida fossile (en haut, en rouge) fixé à son hôte, un ostracode (image tirée de Siveter et al. 2015).
Ces scènes de parasitisme figées dans la roche montrent aussi que les Pentastomida du passé étaient des parasites externes, une grande partie de leur corps restant libre. Cela suggère qu’ils cherchaient activement leur hôte avant de s’y fixer. Bien avant de devenir endoparasites de vertébrés terrestres, les Pentastomida ont donc été ectoparasites d’arthropodes aquatiques. L’ingestion d’ostracodes parasités par des vertébrés de l’époque pourrait avoir amorcé ce changement de mode de vie.


Siveter D. J., Briggs D. E. G., Siveter D. J. & Sutton M. D., 2015 – “A 425-million-year-old Silurian Pentastomid parasitic on Ostracods”, Current Biology (doi: 10.1016/j.cub.2015.04.035).


Julien Grangier

mardi 1 septembre 2015

17_Et pourquoi pas ?




[…] C’est l’Ennui ! L’œil chargé d’un pleur involontaire,
II rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
– Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère !
Charles Baudelaire, Au lecteur, 

Les Fleurs du Mal (1857).



Surprise ! Espèces, revue de référence sur les sciences de la vie et de la Terre, Espèces héraut de la connaissance objective, vous parle de cryptozoologie et se pare - ultime affront - d’une tortue à trois paires d’yeux en une. Oui. Vous vérifiez la couverture et non, ce ne sont pas les adeptes de la secte du grand Migou qui ont mis une habile contrefaçon sur le marché. Alors, vous vous dites que cet interminable été caniculaire a dû provoquer ce pétage de fusible éditorial et que, décidément, on ne peut se fier à personne (et certainement pas aux journalistes). Vous affûtez votre plume pour nous envoyer un petit mot rageur accompagné de la résiliation de votre abonnement…

Je comprends la violence de votre réaction, mais je dois vous rappeler que les membres de notre rédaction sont des Homo sapiens. Or, cette espèce, à laquelle - j’ai le regret de vous l’apprendre, car elle n’a pas très bonne presse - vous appartenez aussi, a une fâcheuse tendance à s’illustrer par des contradictions à donner des migraines à Auguste Comte. Mais, avant de faire un autodafé de votre collection d’Espèces, demandez-vous si ces contradictions sont véritablement contradictoires.

Rappelons que la merveilleuse machine qui palpite entre nos deux oreilles, animée d’un mouvement perpétuel, consomme 15 à 20 % de notre énergie (un conseil, et malgré ce que disent les magazines féminins, si vous voulez maigrir, pensez). L’exubérante activité de notre encéphale peut rapidement devenir un problème s’il est livré à lui-même. Sans aucun objet sur lequel se focaliser, c’est alors ce “monstre délicat”, l’Ennui - avec sa capitale initiale -, qui sort du bois. La fragile mécanique tourne alors sur elle-même à vide et, affamée, se nourrit dans les poubelles, accouchant parfois du pire, nous menant dans les territoires désolés du délire, du fantasme, de l’idéalisme échevelé, de la folie… En effet, et si on le laisse faire, notre esprit ne tend pas naturellement vers le cartésianisme (là encore, j’ai le regret de vous l’apprendre) et, s’il est l’outil de notre connaissance rationnelle du monde, il s’interpose sans cesse, dans le même temps, entre nous et la réalité. Est-ce un mal ? Question d’équilibre, bien sûr, mais que serait notre vie si notre imagination ne le disputait pas sans cesse à notre raison ? Un insipide épisode de Batman sans Robin.

Alors comment occuper raisonnablement cet organe hyperactif ? Comment le distraire tout en satisfaisant son penchant naturel à la divagation ? Mais, – Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère !, en faisant de la science, bien sûr ! Car la science est cet “état de grâce” dont parle Gérald Bronner qui consiste à faire faire à notre cerveau ce qu’on lui dit de faire tout en le divertissant habilement. Elle nous permet d’explorer les provinces de l’étrange bien à l’abri dans la bulle de notre rationalité.

Alors ne voyez dans la cryptozoologie qu’une manière distrayante d’exercer la méthode scientifique, un lieu privilégié où une tortue à trois yeux a le droit d’exister… Pourquoi pas ? Mais seulement jusqu’à preuve du contraire.
Cécile Breton

Le docteur Franz Joseph Gall, inventeur d’une pseudoscience qui fit fureur au xixe siècle, la phrénologie. Celle-ci se proposait de définir  le caractère d’une personne par la forme de son crâne. Il est ici entouré de sa collection de crânes d’Adam et Ève, Noé, Homère, du cheval de Troie, etc. (caricature de Martinet, 1807).

mercredi 19 août 2015

Des perce-oreilles qui piquent les narines

Un couple de perce-oreilles Labidura riparia (photo John Byers).

Une façon inhabituelle de repousser les prédateurs vient d’être découverte chez un perce-oreille : émettre une forte odeur de cadavre en décomposition pour dégoûter son assaillant. C’est la première fois que ce type de mimétisme olfactif est mis à jour chez un insecte. Il s’agit de Labidura riparia, un perce-oreille que l'on trouve un peu partout dans le monde. Alors qu’il les étudiait sur le terrain, John Byers, entomologiste à l'USDA, avait remarqué une très désagréable odeur. Il s’est penché de plus près sur ce phénomène, et en décrit l’origine dans une étude publiée récemment. En cas de danger, ces perce-oreilles émettent des composés volatils soufrés, apparemment produits dans leurs glandes salivaires et excrétés par la bouche. Ces charmantes fragrances évoquent à la fois la chair en décomposition et les excréments.

Le lézard Anolis carolinensis (PiccoloNamek, 
CC BY-SA 3.0). 
Pour vérifier si cela pouvait effectivement repousser les prédateurs, le chercheur a observé en laboratoire la réaction de lézards (Anolis carolinensis) mis en présence de perce-oreilles. D’abord tentés d’en faire leur repas, les reptiles recrachent immédiatement le perce-oreille qu’ils ont tenté d'avaler. L’insecte déclenche sa protection chimique assez rapidement pour ne pas être blessé. Les lézards retiennent la leçon puisqu’ils ne renouvellent jamais l’expérience, même après plusieurs semaines. Le rejet initial est une réaction innée et ressemble à l’aversion qu’ont la plupart des vertébrés prédateurs pour la chair en décomposition - sans doute une adaptation permettant de limiter les risques d’infection. Il est donc probable qu’avec son odeur de charogne, le perce-oreille parvienne à échapper à d’autres prédateurs (oiseaux et mammifères insectivores), mais cela reste à vérifier.



Référence : Byers J. A. 2015 - “Earwigs (Labidura riparia) mimic rotting-flesh odor to deceive vertebrate predators ”, The Science of Nature (doi: 10.1007/s00114-015-1288-1).

Julien Grangier

jeudi 6 août 2015

Comment utiliser ses tentacules pour pêcher à la ligne

Petite mais costaude, Carukia barnesi (photo Lisa-Ann Gershwin, avec son aimable autorisation). 

Les cuboméduses, ce sont un peu les Rolls Royce des méduses : elles nagent plus vite que les autres, ont un sens visuel plus développé, et affichent une plus grande diversité de comportements.  Elles sont aussi les plus venimeuses, infligeant des piqûres pouvant être fatales aux êtres humains.
Les crocodiles ne sont pas les seuls à rendre les plages australiennes si accueillantes (photo J. Grangier).

Cela n’a pas empêché une équipe de scientifiques d’étudier le comportement prédateur d’une de ces créatures, Carukia barnesi. Plusieurs individus ont été prélevés en mer dans la région de Cairns en Australie. Placés dans des aquariums et filmés pendant des heures, leur morphologie ainsi que leur attitude en présence de larves de poissons ont été étudiées en détail. Et leur talent de pêcheurs exposé au grand jour.
Un poisson piégé (a) au niveau d'un
des amas de cellules urticantes (b).
L'ombrelle de la méduse, qui ne
mesure pas plus de 2 cm, est visible
en (c) (photo tirée de Courtney et 
al. 2015 - Plos One).

Il semble en effet que ces méduses leurrent activement leurs proies afin de les capturer. Elles commencent par étendre au maximum leurs quatre tentacules, qui peuvent atteindre 75 cm de long. Elles les agitent ensuite par de brèves contractions environ une fois toutes les 10 secondes, comme le montrent les films réalisés pendant l'étude.

Agités ainsi, les amas de cellules urticantes, situés tous les 3 cm le long des tentacules, deviennent plus visibles. Ces zones pâles, plus denses que le reste des tentacules, apparaissent alors comme de petits points blancs aux mouvements saccadés. Ou, aux yeux des larves de poisson, comme une proie idéale de type plancton marin.

Cela expliquerait pourquoi les poissons s’approchent rapidement des tentacules, comme s’ils poursuivaient une proie. Au moment de la gober, cependant, les voilà eux-mêmes transformés en festin, foudroyés par le puissant venin de leur prédateur.

Les méduses ne se livrent à ces parties de pêche qu’à la lumière du jour, jamais la nuit. Les biologistes pensent qu’elles économisent ainsi leur énergie, car agiter leurs tentacules serait inutile dans l’obscurité. D’autres animaux vivant à plus grande profondeur ont développé une forme de « pêche » similaire, mais utilisable dans le noir. Certains siphonophores, par exemple, ne se contentent pas d’agiter leurs cellules urticantes, mais les parent aussi d’une lueur rouge qui attirerait les poissons…


Référence : Courtney R., Sachlikidis N., Jones R., Seymour J. 2015 - “Prey capture ecology of the Cubozoan Carukia barnesi”, Plos One (doi: 10.1371/0124256).

Julien Grangier


vendredi 10 juillet 2015

Les mésanges incollables sur les stocks de chenilles

Une mésange charbonnière (photo Frank Vassen, CC BY 2.0).

Les amours printanières ne se font pas forcément à la légère. Pour bien des animaux, il est essentiel de bien choisir ses dates de reproduction. Idéalement, la croissance des jeunes, période de forte demande énergétique, devra coïncider avec le pic d’abondance des ressources alimentaires. Avant de s’accoupler, il s'agit donc de détecter des signes annonçant l’émergence des ressources dont les jeunes auront besoin. Comment font les animaux et à quel point y parviennent-ils ? Des questions de plus en plus pressantes alors que le réchauffement global modifie déjà la phénologie de nombreuses espèces.

Selon une nouvelle étude, les mésanges charbonnières (Parus major)  synchronisent très précisément leur reproduction avec l’état des ressources proches de leur nid. L’affaire n’est pourtant pas simple. Les mésanges nourrissent leurs oisillons principalement avec des chenilles de phalène brumeuse (Operophtera brumata) et ces chenilles ne vivent qu'un court instant au printemps car elles mangent exclusivement les jeunes feuilles de chêne (Quercus spp.).
 De quelque nature qu'il soit, le jeune a faim: les oisillons réclament des chenilles de la phalène brumeuse, qui elles-mêmes se jettent goulûment sur les feuilles de chêne immatures (photos J-D Echenard CC BY-ND 2.0, D. Hobern et R. Verzo CC BY 2.0).  

Pour clarifier l'emploi du temps de tout le monde, des biologistes ont observé oiseaux, chênes et chenilles pendant plusieurs années dans un bois de 28 Ha, près d’Oxford en Angleterre. L’endroit réunit plus de 200 nichoirs à mésanges, ce qui a facilité la récolte de données très précises.

Ce travail a révélé qu'il y a chez les arbres des lève-tôt et des lève-tard. En effet, la date d’apparition des nouvelles feuilles et leur vitesse de développement sont étonnamment variables parmi les chênes d’un même bois. L’abondance des chenilles étant étroitement corrélée au rythme de croissance des feuilles, la quantité de nourriture disponible pour les mésanges n’atteindra donc pas son maximal partout au même moment.
Les feuilles de chêne n'apparaissent pas toutes au même moment : zones de bourgeonnement précoce (en bleu) et tardif (en rouge) dans le bois étudié (exemple ici du printemps 2007). Les points noirs représentent des nichoirs à mésanges. La date du pic d'abondance des chenilles, dépendante de l'apparition des feuilles, ne sera donc pas la même selon les territoires (carte extraite d'une figure de Hinks et al. 2015 - The American Naturalist).

On pourrait s'attendre à ce qu'une telle variabilité complique sérieusement les prédictions des oiseaux. Il n'en est rien, puisqu'ils règlent leur calendrier de reproduction sur ce qui se passe tout près de chez eux ! Leurs dates de ponte et d’éclosion sont corrélées à l’émergence des feuilles sur les arbres situés à moins de 50 m de leur nichoir. Ils ne tiennent manifestement pas compte du rythme des arbres plus éloignés.

Les dates d’accouplement des couples d'oiseaux varient donc selon les conditions offertes par leur territoire. Dans chaque cas, les oisillons écloront à la période qui leur fera profiter du maximum de nourriture. Les indices saisonniers qui paraissent les plus évidents, comme la température ambiante ou la durée des jours, ne sont donc pas les seuls utilisés par les animaux pour décider quand se reproduire. D’autres indices, plus locaux, sont donc nécessairement pris en compte par les mésanges pour caler leur cycle de vie sur celui des chenilles qui vivent autour de chez elles.


Référence : Hinks A. E., Cole E. F., Daniels K. J., Wilkin T. A., Nakagawa S., Sheldon B.C. 2015 – “Scale-dependant phonological synchrony between songbirds and their caterpillar food source”, The American Naturalist (doi : 10.1086/681572).

Julien Grangier

vendredi 26 juin 2015

Les fourmis utilisent des pesticides avec parcimonie


Découpe et transport des feuilles par les fourmis Atta en Guyane (photos J. Grangier).

Longtemps avant l’homme, un certain nombre d’animaux ont inventé diverses formes d’agriculture. Parmi eux, les fourmis coupeuses de feuilles, appelées aussi fourmis champignonnistes. Chez ces insectes, très répandus en Amérique du Sud, des feuilles sont collectées dans les arbres et ramenées au nid pour y être broyées. Le substrat ainsi produit est propice à la croissance de champignons qu’on ne trouve nulle part ailleurs, et dont les fourmis se nourrissent presque exclusivement. Comment les insectes prennent-ils soin de leurs cultures ? 
Des fourmis Atta au milieu de leur culture de champignon (photo Alex Wild, CC0 1.0)

D'après une nouvelle étude, les fourmis champignonnistes du genre Atta mènent une véritable lutte chimique contre les pathogènes. Tout repose sur l’acide phénylacétique, une substance que la glande métapleurale des Atta, située sur leur thorax, sécrète à un niveau inhabituellement élevé par rapport aux autres espèces de fourmis. Les chercheurs ont pu démontrer que ce composé chimique tue efficacement différentes espèces de pathogènes, et tout particulièrement le champignon parasite Escovopsis qui s’attaque aux cultures nourricières des fourmis.
Chacun son rôle: les plus petites
 ouvrières protègent les porteurs
 de feuilles contre les attaques 
de mouches parasites. Dans le 
nid, elles semblent très efficaces 
pour traiter les sources d'infection
 (photo J. Grangier).

Quand elles détectent une source d’infection sur une congénère ou sur leurs champignons, les ouvrières collectent des gouttelettes d’acide en frottant la pointe de leurs pattes avant sur l’orifice de leur glande métapleurale. Elles déposent ensuite la substance à l’endroit repéré. Des ouvrières de petite taille, à la glande métapleurale disproportionnée, seraient spécialisées dans cette tâche.

A chaque fois, l'acide est déposé très précisément sur les sources d'infection. Cette lutte chirurgicale limiterait l'apparition de souches résistantes chez les pathogènes. C'est pourquoi les biologistes souhaitent maintenant mieux comprendre l'évolution de la lutte chimique chez les fourmis champignonnistes. Elle est vraisemblablement très ancienne, le genre Atta existant depuis 10 Ma. Un problème qui intéresse les chercheurs, du fait des analogies entre ce système et l'agriculture humaine : nous nous heurtons à de sérieux problèmes de résistance après seulement quelques décennies de lutte chimique à grande échelle.


Référence : Fernandez-Marin H., Nash D. R., Higginbotham S., Estrada C., van Zweden J. S., d’Ettorre P., Wcislo T. et Boomsma J. J. 2015 – “Functional role of phenylacetic acid from metapleural gland secretions in controlling fungal pathogens in evolutionarily derived leaf-cutting ants”, Proceedings of the Royal Society of London B (doi: 10.1098/rspb.2015.0212).

Julien Grangier