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samedi 31 décembre 2011

2011, année d'un triste record pour les éléphants d'Afrique


Ce mois de décembre a vu la saisie de 1,4 tonne d'ivoire, en Malaisie.
(cliché : Elizabeth John, Traffic Southeast Asia)


Si l'on apprend, grâce à une information publiée dans Science et reprise par Le Monde, que les éléphants se sont fait pousser un sixième orteil, ces derniers n'ont cependant pas passé une année des plus reposantes. L'ONG Traffic affirme en effet, dans un communiqué publié le 29 décembre, que 2011 a été la pire année connue en termes de saisie d'ivoire.  Par ailleurs, ce record illustre la nette augmentation du trafic d'ivoire depuis 2007. "En 23 ans, je n'ai pas connu une année aussi mauvaise", affirme Tom Miliken, expert à ETIS (Elephant trade information system), qui compile les données sur les trafics d'ivoire depuis 1989.

Ainsi, selon les données réunies par l'ONG, 23,68 tonnes ont été saisies en 2011. Plus du double du chiffre constaté en 2010. En tout, ce sont plus de 2 500 éléphants d'Afrique qui auraient trouvé la mort sous les balles des braconniers, cette année. La plus importante saisie a été réalisée le 21 décembre, dans le port de Mombasa, au Kenya : 727 pièces représentant 2,5 tonnes d'ivoire. Au total, la plupart des saisies ont été réalisées dans les ports kenyans et tanzaniens, ainsi qu'en Asie du Sud-Est. Parmi les principales saisies, on retrouve la Malaisie, qui apparaît comme une plaque tournante du trafic.

"L'augmentation du nombre de saisies d'ivoire reflète à la fois une hausse de la demande en Asie et et une professionnalisation des bandes criminelles que l'on retrouve derrière ces trafics", affirme Tom Miliken. Parmi les techniques des trafiquants : modifier les documents administratifs afin de masquer l'origine africaine des défenses d'ivoire.

 Le commerce de l''ivoire est interdit dans le monde depuis 1989. Les populations d'éléphants d'Afrique et d'Asie ont en effet été décimées, principalement à la fin du XXe siècle. Programme commun du WWF et de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Traffic existe pour lutter contre le commerce international des espèces sauvages.
Julien Balboni

lundi 19 décembre 2011

Durban : "Un moyen pour ne pas désespérer de l'avenir"


Le climatologue Hervé Le Treut est directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace et participe aux travaux du Groupement intergouvernemental sur le climat (GIEC) (cliché DR)


La conférence de Durban sur le réchauffement climatique s'est achevée le 11 décembre sur la signature d'un accord... prévoyant un nouvel accord en 2015. Avancée, tout de même : tous les grands pays émetteurs de gaz à effet de serre se sont engagé à participer à cet accord global à venir... sans que les termes d'une contrainte juridique n'aient été définis. Bref, les observateurs n'ont pas applaudi des deux mains mais, pour beaucoup, le pire a été évité. Le Monde a même écrit que tout cela était "mieux que rien". Hervé Le Treut, directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace et climatologue mondialement réputé, n'était pas en Afrique du Sud. Mais il connaît les arcanes de ce grand raout et les décrypte.

Vous n'étiez pas à Durban. Pour quelles raisons ?
Hervé Le Treut : "J'étais dans la délégation française à Copenhague, en 2009, mais la recherche et l’enseignement prennent aussi du temps ! D’autant que la place des scientifiques n'est pas essentielle dans ces conférences : les négociations ont eu lieu entre négociateurs, venant des ministères, puis se concluent entre ministres. Le travail scientifique a lieu en amont. La négociation sur le réchauffement climatique a peu avancé ces dernières années, elle s’articule avec un discours scientifique, qui est lui-même resté essentiellement le même.

Comment analysez-vous la manière dont s'est déroulée cette conférence ?
Le résultat n'est pas une très grande surprise. Les facteurs de résistance sont connus depuis bien longtemps. L'idée de quotas de réduction d'émission de gaz à effet de serre par pays n'enthousiasme pas les Etats-Unis  d'Amérique. Potentiellement, ce que l'on peut leur demander est énorme, et ils n'ont pas envie de prendre d'engagement. Parallèlement, la Chine ou l'Inde, par exemple,  estiment ne rien devoir à l’Occident, qui émet depuis plus longtemps, et émet plus quand on compte par individu. De plus, le problème est complexe : aucun chef d'Etat ne dispose d'un bouton pour diminuer simplement la quantité de CO2 rejetée, la mise en œuvre de ce qui est décidé devra faire appel à des mesures très diverses. On ne peut pas attendre d'une telle négociation qu'elle soit facile. La question à se poser est la suivante : face à des évolutions qui sont réellement difficiles à provoquer, le volontarisme politique existe-t-il ?

Justement, existe-t-il ?
Le climatologue que je suis n’a pas toutes les clefs pour en juger. Les scientifiques disent  la chose suivante : "si l'on veut limiter le réchauffement à moins de 2°C, il faut en gros limiter les émissions d’un facteur deux dans les prochaines décennies". Mais le politique a d'autres problèmes à régler. Il doit traiter le problème du climat en respectant d'autres soucis environnementaux (disponibilité en eau, et nourriture, maintien de la biodiversité, pollutions variées) et en prenant en compte des facteurs humains variés (démographie, problème de justice et d'équité entre Nord et Sud, ou au sein même d’un pays comme la France...). Il n’y a pas unanimité sur tous ces sujets. Comment baisser de 30% l'émission de gaz à effet de serre pour un Etat ? Economiser l’énergie bien sûr, mais comment : de manière autoritaire ou incitative ? Et au-delà ? Plus de nucléaire ? Plus d’énergies renouvelables ? Plus de biocarburants ? Quelle gestion des grandes forêts ? On voit bien que les négociations internationales renvoient très vite à des options très différentes.

Mais la conférence de Durban aura permis aux Etats de se réunir pour trouver un accord, tous ensemble, en 2015. N'est-ce pas une avancée ?
Il est important que les négociations aient lieu et qu'il y ait des points de rendez-vous. Il n'y en aurait pas, on s'apercevrait très vite qu'elles manquent. Que les pays émetteurs soient présent est un moyen de ne pas désespérer de l'avenir. Après, voir cela comme un progrès... Au moins, les négociations ont permis de ne pas clore des portes qu'il aurait été sans doute très difficile de rouvrir.

Les accords de Kyoto, qui ont été prolongés par les conférenciers de Durban, prévoient de limiter le réchauffement climatique à + 2°C d'ici 2010. Cet objectif est-il encore réaliste ?
C'est en fait un engagement pris à Copenhague. Il est chaque année plus difficile à tenir. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas, au sens strict, un problème « pour la planète ». D'ici quelques millénaires, la Terre aura sans doute oublié une grande partie de cet épisode. Mais c’est un problème pour les prochaines décennies, donc pour nous. Une humanité nombreuse va se confronter à des situations nouvelles : sécheresses, cyclones tropicaux à l’ampleur ou la localisation  inattendues, fragilisation du milieu littoral face à une montée des eaux. Les scénarios pessimistes conduisent à une augmentation de la température de plus de 6° d'ici 2010 - ce n'est donc a priori pas impossible et c'est vraiment beaucoup. C'est, vers le chaud, l'écart qui nous sépare d'un âge glaciaire.

Vous participez aux travaux du Groupement intergouvernemental d'études sur le climat (GIEC) qui rendra ses rapports - très attendus - en 2013 et 2014. Quelle en sera la couleur ?
Il s'agit du cinquième rapport, et ont peut constater que tous les rapports se situent dans la continuité du premier, publié en 1990. Bien sûr les premières anticipations ont été affinées  et progressivement on observe des évolutions qui vont dans le sens des changements annoncés par les modèles depuis une vingtaine d’années : réchauffement sur toute la surface terrestre, plus fort près des Pôles, fonte de la banquise arctique, du Groenland, relèvement accéléré du niveau de la mer (ndlr : lire par ailleurs). Dans le prochain rapport, on retrouvera certainement ces tendances – et aussi une vision du climat qui incorpore de plus en plus d’éléments: biosphère continentale et marine, chimie atmosphérique, aspects sociétaux... Mais, globalement, le message est d'autant plus difficile à écouter qu'il reste le même.

Les médias ont moins évoqué la conférence de Durban que celle de Copenhague, qui avait fait grand bruit. Pour quelles raisons, selon vous ?
On a moins parlé de Durban peut-être parce qu'à Copenhague, le propos avait été mis en scène d’une manière qui ne peut pas servir chaque année ! Ecrire "trois jours pour sauver la planète", c'est efficace médiatiquement... une fois.  En 2009, on avait pu lire que la conférence avait été un échec, mais le bilan était finalement un peu le même que cette année : un verre que l'on peut juger à moitié plein ou à moitié vide. Au bout du compte la moindre médiatisation est probablement le résultat d'une difficulté à gérer dans la durée des situations qui durent ou se répètent. La presse a ses propres règles. Mais on émet des gaz à effet de serre qui vont rester un siècle dans l’atmosphère, ils sont émis très vite et on est face à une urgence un peu particulière : ne pas engager dès maintenant l’avenir, sous peine de voir des conséquences graves dans quelques décennies. On a besoin pour cela d’une démarche insistante, générationnelle, qui permette d’affronter avec la ténacité et la continuité suffisante des problèmes difficiles.

Propos recueillis par Julien Balboni

samedi 17 décembre 2011

La fonte des glaciers réunit des populations de baleines boréales

En 2008, la population de baleines boréales était estimée à moins de 10 000 individus (cliché David Rugh, National Marine Mammal Lab, NMFS, NOAA)

Après des milliers d'années de séparation, deux groupes de baleines boréales de l'Atlantique et du Pacifique se sont à nouveau retrouvés. Merci la fonte des glaces ?

Le passage du Nord-Ouest qui traverse les îles arctiques du grand Nord canadien, emprunté pour la première fois par le Norvégien Amundsen entre 1903 et 1906, s'ouvre à grande vitesse, du fait du réchauffement climatique. Ce passage est une route commerciale, seulement empruntable durant le court été arctique. Le reste du temps, il est bloqué par les glaces. Que ce soit pour les hommes ou les mammifères marins. Mais une étude danoise de l'Institut groenlandais des ressources naturelles, publiée en septembre dernier, a montré que deux baleines boréales, venues l'une de l'ouest du Groenland et l'autre d'Alaska, ont passé une dizaine de jours dans la même zone, le Parry Channel, en août 2010, avant de rentrer chacune vers leur région d'origine. Un peu comme une rencontre entre Christophe Colomb et les indigènes de San Salvador.

Depuis plus de 10 ans, ces chercheurs ont constaté que de nombreux spécimens de baleines boréales, mâles exclusivement, entament chaque année un périple à travers le passage du Nord-Ouest, qu'ils viennent du Pacifique ou de l'Atlantique. Ils profitent du fait que la taille du glacier de l'Arctique canadien en août diminue de 8,2 % par décennie. Si les différences génétiques entre les groupes de baleines boréales du Pacifique et de l'Atlantique sont faibles, elles montrent que cette espèce parvient à survivre grâce des échanges périodiques. Mais la fonte des glaciers devrait abolir, à terme, les groupes distinct et offrir aux baleines boréales de nouveaux territoires.

Nommée également baleine du Groenland, la baleine franche mesure entre 14 et 18 mètres de long à l'âge adulte. Chassée de manière industrielle jusqu'au début du XXe siècle, elle est toujours considérée comme une espèce menacée. Sa longévité est exceptionnelle : en 2007, un harpon vieux d'un siècle a été retrouvé dans le corps d'un spécimen, en Alaska.
Julien Balboni

mercredi 14 décembre 2011

Pour les chercheurs, gémir n'est pas de mise aux Marquises

 Les tombants d'Hatutu, aux Marquises (cliché J. Mourier/CNRS)

Le décompte des nouvelles espèces n'en finit pas de se prolonger. Ces dernières semaines, une équipe de chercheurs français a mené la plus vaste exploration jamais réalisée des fonds marins qui bordent les Marquises, en Polynésie française. Montée par l'Agence des aires marines protégées et menée par le CNRS, l'Ifremer et l'Institut de la recherche et du développement, l'expédition, longue de plusieurs semaines, a permis de découvrir rapidement 20 nouvelles espèces de poissons, endémiques de l'archipel. La taille de ces espèces varie entre 7 mm et 25 cm. 14% des espèces recensées lors de ces recherches ont été répertoriées comme endémiques. Ce qui fait des Marquises l'un des lieux les plus riches en endémisme de la planète - avec les îles Hawai et la mer Rouge. L'expédition a pris pied à bord du navire océanique Braveheart, et a pour nom "Pakahi i te moana" ("respect de l'océan"). Cette campagne a permis aux scientifiques de reconnaître des habitats très divers et potentiellement riches en diversité biologiques : tombants, bancs de sable isolés, fonds de baies ou grottes ainsi que des colonnes d'eau au milieu de l'océan Pacifique. Selon les estimations du Muséum national d'histoire naturelle, entre 16 000 et 18 000 nouvelles espèces sont découvertes, chaque année. 1,9 million ont été décrites. Le nombre d'espèces vivant sur la Terre est inconnu et se situe dans une fourchette comprise entre 10 et 30 millions.
J. Balboni

jeudi 1 décembre 2011

02_L'animal face à la bête






Je vous défie de trouver un mot au contenu sémantique plus riche et plus ambigu que celui de “bête”. Au premier abord, notre dictionnaire nous dit qu’elle définit « tout animal, homme excepté ». Cependant, la bête n’est pas l’animal… Alors, à quoi sert bête ? D’où vient-elle ?

En latin, bestia est l’antonyme d’homo, tandis qu’anima inclut tous les êtes animés. L’équivalent grec d’anima est zôon, dont la définition est encore plus large puisqu’il regroupe les animaux, les plantes, les hommes et les dieux… enfin presque, puisque, pour Aristote, l’homme est un zôon qui a certaines spécificités, le logos (parole-pensée) car il utilise la parole pour parfaire sa nature dans la polis (la cité). L’homme est un animal politique (parmi d’autres, comme les abeilles, par exemple pour Platon, même si intervient là encore une nuance toute grecque). Aristote est le premier à s’intéresser aux animaux d’une façon systématique car « il croyait avec Héraclite que “les dieux sont aussi dans la cuisine” et qu’il fallait accepter d’entrer dans la cuisine de la nature si l’on voulait y comprendre quelque chose » (J.  L.  Labarrière). Précisant au passage «  Aussi ne faut-il pas avoir de dégoût, comme les enfants pour l’étude des animaux repoussants. Car dans toutes les œuvres de la nature il y a quelque chose à admirer  ». Ce type d’assertion accroît mon scepticisme (et non mon cynisme qui est “propre au chien”) devant l’idée trop largement répandue que nos sociétés modernes sont le fruit d’un progrès ininterrompu.

Là où cela se complique, c’est lorsque cela se simplifie. Si la culture latine comprend l’anima comme la force vitale, peu à peu, avec le temps et le monothéisme, l’anima deviendra l’âme, l’esprit, c’est-à-dire ce qui est strictement propre à l’homme : en un mot, le Moyen Âge sépare définitivement l’animal de l’anima, et c’est alors que la bête fait surface.

Parce que les animaux sont extrêmement présents dans la symbolique chrétienne et l’imaginaire populaire médiéval, on invente le “bestiaire”, un genre littéraire qui connaîtra un fort engouement. Ces ouvrages traitent des “propriétés des animaux” plus que d’observations naturalistes (Aristote s’éloigne). Ce n’est pas la véracité qui prime, mais la symbolique : lions et chiens y côtoient licornes et griffons. On “charge alors la bête” d’une symbolique dont elle aura bien du mal à se défaire (Aristote, pardonne-nous). Cependant, la proximité du monde médiéval avec l’animal laisse à penser que le clivage homme/animal n’est pas aussi marqué qu’on pourrait le penser (lire p. 16). Ce n’est qu’au XIIIe siècle, que la bête va commencer sa descente aux enfers et désigner la partie animale de l’homme, c’est-à-dire la bêtise. Ainsi, LA bête prend la tête des enfers, conduit l’apocalypse, devient l’incarnation du mal définitif, et pourtant… on continue à s’en moquer, à bêtifier, à en faire notre bête noire comme si nous étions restés à l’âge bête.

On se demande aujourd’hui qui doit, de l’homme ou de la bête, revendiquer la bêtise comme étant ce qui le définit le mieux. Avant de répondre, nous vous proposons d’entrer dans la cuisine, celle où les singes communiquent et les geais se souviennent.
Cécile Breton

Cynocéphale mythique (Anubis, Wikipedia commons), cynocéphale cynique (Hartmann Schedel, XVIe siècle, Wikipedia commons) et cynocéphale ”sceptique“ (Babouin cynocéphale, Papio cynocephalus, A. Guerrier/Horizon).