Un sourire qui veut dire "fais gaffe" (photo Barbora Čepelová, avec son aimable autorisation). |
Quand il s’agit d’échapper à leurs
prédateurs, les rongeurs font généralement profil bas. En cas de danger, les
voilà figés et silencieux, camouflés par les couleurs généralement grises ou brunes de leur pelage. Cette capacité à se fondre dans le décor, façonnée par
la sélection naturelle, augmente leurs chances de tromper les sens aiguisés de
leurs poursuivants.
Dans cette course à la discrétion, le
lemming de Norvège (Lemmus lemmus) détonne
complètement. Son pelage bariolé de couleurs contrastées – blanc, roux et noir
- et ses réactions bruyantes quand il est dérangé sont à l’opposé de ce qu’on
observe chez les autres rongeurs, y compris les autres espèces de lemming. Un
nouveau travail indique que ces caractéristiques étonnantes jouent en fait le
rôle de signaux aposématiques - c’est-à-dire des signaux avertissant
les prédateurs qu’ils s’approchent d’une proie plus coriace que les autres, à
la manière des couleurs vives ornant certains insectes et serpents venimeux.
Avec leurs dents pour armes principales, ces
lemmings savent en effet se montrer très offensifs. Ils sont capables de mettre
en déroute de petits prédateurs comme les hermines, pourtant spécialistes de la chasse aux micro-rongeurs, et les labbes, ces oiseaux marins qui écument les terres pendant leur période de reproduction. On les a même
déjà vus tuer une belette ! Le risque pour les prédateurs est donc réel.
Pour qu’il y ait aposématisme, ce risque doit aussi être aisément identifiable
à distance. Or, l’apparence de l’animal et son comportement y contribuent de
plusieurs façons.
Une expérience a ainsi
montré que les couleurs particulières du lemming de Norvège le rendent nettement
plus détectable que les autres rongeurs partageant les mêmes habitats, comme le
campagnol du Sundevaall.
Le lemming de Norvège n'est pas un modèle de camouflage (photo kgleditsch). |
Enfin, comme pour corser un peu plus le
tableau, le lemming n’hésite pas à bondir tout en émettant des cris très
audibles : cette mise en garde sonore est systématique si l’intrus
approche à moins de 5 mètres, et elle résonne parfois à plus de 10 mètres de
distance !
L'avertissement à la fois sonore et visuel du lemming de Norvège (on parle de signal multimodal) augmenterait les chances que sa démonstration de force soit perçue par les prédateurs (vidéo avec l'autorisation d'Alexander Ryden).
Les prédateurs peuvent donc difficilement
confondre ce lemming surexcité avec des campagnols, nettement plus discrets et
bien moins bagarreurs. En le différenciant des proies « faciles »,
ces signaux visuels et sonores augmenteraient les chances de survie du lemming puisqu'ils feraient renoncer un certain nombre de ses agresseurs. Au regard de leur
abondance dans la nature, les lemmings de Norvège sont ainsi largement
sous-représentés dans les trophées de chasse des labbes, tandis que les campagnols y sont
sur-représentés.
Depuis sa conceptualisation au XIXe
siècle et jusqu’à aujourd’hui, l’évolution des traits aposématiques n’a cessé
d’être débattue. De nouveaux exemples dans des groupes taxonomiques où
l’aposématisme est rare, comme ici chez les mammifères, peuvent donc aider à
mieux cerner les conditions qui favorisent son apparition.
Référence :
Andersson M., 2015 - “Aposematism and crypsis in a rodent: antipredator defence
of the Norwegian lemming”, Behavioural Ecology and Sociobiology 347: 651-654 (doi: 10.1007/s00265-014-1868-7).
Julien Grangier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire