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vendredi 13 mars 2015

Pour vivre heureux, les lemmings de Norvège ne vivent pas cachés

Un sourire qui veut dire "fais gaffe" (photo Barbora Čepelová, avec son aimable autorisation).

Quand il s’agit d’échapper à leurs prédateurs, les rongeurs font généralement profil bas. En cas de danger, les voilà figés et silencieux, camouflés par les couleurs généralement grises ou brunes de leur pelage. Cette capacité à se fondre dans le décor, façonnée par la sélection naturelle, augmente leurs chances de tromper les sens aiguisés de leurs poursuivants.

Dans cette course à la discrétion, le lemming de Norvège (Lemmus lemmus) détonne complètement. Son pelage bariolé de couleurs contrastées – blanc, roux et noir - et ses réactions bruyantes quand il est dérangé sont à l’opposé de ce qu’on observe chez les autres rongeurs, y compris les autres espèces de lemming. Un nouveau travail indique que ces caractéristiques étonnantes jouent en fait le rôle de signaux aposématiques - c’est-à-dire des signaux avertissant les prédateurs qu’ils s’approchent d’une proie plus coriace que les autres, à la manière des couleurs vives ornant certains insectes et serpents venimeux.

Avec leurs dents pour armes principales, ces lemmings savent en effet se montrer très offensifs. Ils sont capables de mettre en déroute de petits prédateurs comme les hermines, pourtant spécialistes de la chasse aux micro-rongeurs, et les labbes, ces oiseaux marins qui écument les terres pendant leur période de reproduction. On les a même déjà vus tuer une belette ! Le risque pour les prédateurs est donc réel. Pour qu’il y ait aposématisme, ce risque doit aussi être aisément identifiable à distance. Or, l’apparence de l’animal et son comportement y contribuent de plusieurs façons. 

Une expérience a ainsi montré que les couleurs particulières du lemming de Norvège le rendent nettement plus détectable que les autres rongeurs partageant les mêmes habitats, comme le campagnol du Sundevaall.
Le lemming de Norvège n'est pas un modèle de camouflage (photo kgleditsch).

De plus, le dessin noir et blanc du pelage autour de sa bouche mettrait un peu plus en évidence les incisives tranchantes qu’il tourne ostensiblement vers son poursuivant.

Enfin, comme pour corser un peu plus le tableau, le lemming n’hésite pas à bondir tout en émettant des cris très audibles : cette mise en garde sonore est systématique si l’intrus approche à moins de 5 mètres, et elle résonne parfois à plus de 10 mètres de distance !


L'avertissement à la fois sonore et visuel du lemming de Norvège (on parle de signal multimodal) augmenterait les chances que sa démonstration de force soit perçue par les prédateurs (vidéo avec l'autorisation d'Alexander Ryden).

Les prédateurs peuvent donc difficilement confondre ce lemming surexcité avec des campagnols, nettement plus discrets et bien moins bagarreurs. En le différenciant des proies « faciles », ces signaux visuels et sonores augmenteraient les chances de survie du lemming puisqu'ils feraient renoncer un certain nombre de ses agresseurs. Au regard de leur abondance dans la nature, les lemmings de Norvège sont ainsi largement sous-représentés dans les trophées de chasse des labbes, tandis que les campagnols y sont sur-représentés.

Depuis sa conceptualisation au XIXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, l’évolution des traits aposématiques n’a cessé d’être débattue. De nouveaux exemples dans des groupes taxonomiques où l’aposématisme est rare, comme ici chez les mammifères, peuvent donc aider à mieux cerner les conditions qui favorisent son apparition.


Référence : Andersson M., 2015 - “Aposematism and crypsis in a rodent: antipredator defence of the Norwegian lemming”, Behavioural Ecology and Sociobiology 347: 651-654 (doi: 10.1007/s00265-014-1868-7).

Julien Grangier

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