J’aime les histoires et l’histoire, mais plutôt que la grande, celle que l’on dit “petite”. Aux portes de l’ère de “post-vérité”, à l’heure des “faits alternatifs” et du “roman national”, la petite histoire est plus que jamais une amarre à laquelle il faut désespérément s’accrocher.
L’anecdote n’est jamais indispensable à l’histoire, elle est triviale, banale et ne déplace ni les montagnes ni les frontières. C’est pourtant de la petite histoire que l’on débarrasse la grande pour lui donner plus de panache ! Car elle a le pouvoir de faire frémir la moustache de Vercingétorix ou d’envoyer Jehanne d’Arc à Sainte-Anne. Elle interdit la cristallisation des mythes et, parce qu’elle est bien plus proche de nous et bien plus drôle, se fixe durablement dans nos mémoires. Elle a fait la gloire de Félix Faure et de sa “connaissance”, sortie par l’escalier de service un beau jour de 1899. Elle explique l’absence de prix Nobel de mathématique par la rivalité entre deux mâles alphas. Deux histoires de femmes - qui à défaut de la grande doivent se contenter de la petite - deux histoires très certainement totalement fausses aussi. Méfiance donc ! Les mensonges font souvent les meilleures histoires.
Mais que serions-nous sans les mythes ? Lorsque la grande Catherine envoie Peter Simon Pallas explorer les confins de son empire, pense-t-il d’abord aux petites déconvenues qui l’attendent ? Comment traverse-t-il les tourbières, comment supporte-t-il la chaleur étouffante et les inévitables essieux brisés sinon en se convainquant qu’il est investi d’une mission : faire progresser le savoir de l’humanité. C’est le mythe qui l’a porté et, s’il ne revient qu’avec une très mignonne petite souris déjà découverte par un autre un an avant son départ, ce n’est pas ce que retiendra la postérité. Bien entendu, c’est cruel et injuste de résumer ainsi son histoire et c’est surtout tout aussi faux que de dire qu’il aurait changé le visage de la zoologie.
Ce n’est pas leur manquer de respect que d’ironiser sur les commandants Charcot et Cousteau confondant manchots et pingouins. Même malicieusement rapportées, les anecdotes nous protègent parfois des fables trop séduisantes, car elles nous parlent de ce que nous avons tous en commun : de nos humbles misères et de nos vastes hésitations, de nos compromis et de nos faiblesses. Elles rapprochent de nous les grands hommes et nous disent que, sans exception, “puissants ou misérables”, nous trouvons toujours un moyen de ne pas être exceptionnels. Elles nous unissent à travers le temps et l’espace, bien mieux que ne pourrait le faire n’importe quel roman, national, régional ou personnel.
Cécile Breton
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