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lundi 19 décembre 2011

Durban : "Un moyen pour ne pas désespérer de l'avenir"


Le climatologue Hervé Le Treut est directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace et participe aux travaux du Groupement intergouvernemental sur le climat (GIEC) (cliché DR)


La conférence de Durban sur le réchauffement climatique s'est achevée le 11 décembre sur la signature d'un accord... prévoyant un nouvel accord en 2015. Avancée, tout de même : tous les grands pays émetteurs de gaz à effet de serre se sont engagé à participer à cet accord global à venir... sans que les termes d'une contrainte juridique n'aient été définis. Bref, les observateurs n'ont pas applaudi des deux mains mais, pour beaucoup, le pire a été évité. Le Monde a même écrit que tout cela était "mieux que rien". Hervé Le Treut, directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace et climatologue mondialement réputé, n'était pas en Afrique du Sud. Mais il connaît les arcanes de ce grand raout et les décrypte.

Vous n'étiez pas à Durban. Pour quelles raisons ?
Hervé Le Treut : "J'étais dans la délégation française à Copenhague, en 2009, mais la recherche et l’enseignement prennent aussi du temps ! D’autant que la place des scientifiques n'est pas essentielle dans ces conférences : les négociations ont eu lieu entre négociateurs, venant des ministères, puis se concluent entre ministres. Le travail scientifique a lieu en amont. La négociation sur le réchauffement climatique a peu avancé ces dernières années, elle s’articule avec un discours scientifique, qui est lui-même resté essentiellement le même.

Comment analysez-vous la manière dont s'est déroulée cette conférence ?
Le résultat n'est pas une très grande surprise. Les facteurs de résistance sont connus depuis bien longtemps. L'idée de quotas de réduction d'émission de gaz à effet de serre par pays n'enthousiasme pas les Etats-Unis  d'Amérique. Potentiellement, ce que l'on peut leur demander est énorme, et ils n'ont pas envie de prendre d'engagement. Parallèlement, la Chine ou l'Inde, par exemple,  estiment ne rien devoir à l’Occident, qui émet depuis plus longtemps, et émet plus quand on compte par individu. De plus, le problème est complexe : aucun chef d'Etat ne dispose d'un bouton pour diminuer simplement la quantité de CO2 rejetée, la mise en œuvre de ce qui est décidé devra faire appel à des mesures très diverses. On ne peut pas attendre d'une telle négociation qu'elle soit facile. La question à se poser est la suivante : face à des évolutions qui sont réellement difficiles à provoquer, le volontarisme politique existe-t-il ?

Justement, existe-t-il ?
Le climatologue que je suis n’a pas toutes les clefs pour en juger. Les scientifiques disent  la chose suivante : "si l'on veut limiter le réchauffement à moins de 2°C, il faut en gros limiter les émissions d’un facteur deux dans les prochaines décennies". Mais le politique a d'autres problèmes à régler. Il doit traiter le problème du climat en respectant d'autres soucis environnementaux (disponibilité en eau, et nourriture, maintien de la biodiversité, pollutions variées) et en prenant en compte des facteurs humains variés (démographie, problème de justice et d'équité entre Nord et Sud, ou au sein même d’un pays comme la France...). Il n’y a pas unanimité sur tous ces sujets. Comment baisser de 30% l'émission de gaz à effet de serre pour un Etat ? Economiser l’énergie bien sûr, mais comment : de manière autoritaire ou incitative ? Et au-delà ? Plus de nucléaire ? Plus d’énergies renouvelables ? Plus de biocarburants ? Quelle gestion des grandes forêts ? On voit bien que les négociations internationales renvoient très vite à des options très différentes.

Mais la conférence de Durban aura permis aux Etats de se réunir pour trouver un accord, tous ensemble, en 2015. N'est-ce pas une avancée ?
Il est important que les négociations aient lieu et qu'il y ait des points de rendez-vous. Il n'y en aurait pas, on s'apercevrait très vite qu'elles manquent. Que les pays émetteurs soient présent est un moyen de ne pas désespérer de l'avenir. Après, voir cela comme un progrès... Au moins, les négociations ont permis de ne pas clore des portes qu'il aurait été sans doute très difficile de rouvrir.

Les accords de Kyoto, qui ont été prolongés par les conférenciers de Durban, prévoient de limiter le réchauffement climatique à + 2°C d'ici 2010. Cet objectif est-il encore réaliste ?
C'est en fait un engagement pris à Copenhague. Il est chaque année plus difficile à tenir. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas, au sens strict, un problème « pour la planète ». D'ici quelques millénaires, la Terre aura sans doute oublié une grande partie de cet épisode. Mais c’est un problème pour les prochaines décennies, donc pour nous. Une humanité nombreuse va se confronter à des situations nouvelles : sécheresses, cyclones tropicaux à l’ampleur ou la localisation  inattendues, fragilisation du milieu littoral face à une montée des eaux. Les scénarios pessimistes conduisent à une augmentation de la température de plus de 6° d'ici 2010 - ce n'est donc a priori pas impossible et c'est vraiment beaucoup. C'est, vers le chaud, l'écart qui nous sépare d'un âge glaciaire.

Vous participez aux travaux du Groupement intergouvernemental d'études sur le climat (GIEC) qui rendra ses rapports - très attendus - en 2013 et 2014. Quelle en sera la couleur ?
Il s'agit du cinquième rapport, et ont peut constater que tous les rapports se situent dans la continuité du premier, publié en 1990. Bien sûr les premières anticipations ont été affinées  et progressivement on observe des évolutions qui vont dans le sens des changements annoncés par les modèles depuis une vingtaine d’années : réchauffement sur toute la surface terrestre, plus fort près des Pôles, fonte de la banquise arctique, du Groenland, relèvement accéléré du niveau de la mer (ndlr : lire par ailleurs). Dans le prochain rapport, on retrouvera certainement ces tendances – et aussi une vision du climat qui incorpore de plus en plus d’éléments: biosphère continentale et marine, chimie atmosphérique, aspects sociétaux... Mais, globalement, le message est d'autant plus difficile à écouter qu'il reste le même.

Les médias ont moins évoqué la conférence de Durban que celle de Copenhague, qui avait fait grand bruit. Pour quelles raisons, selon vous ?
On a moins parlé de Durban peut-être parce qu'à Copenhague, le propos avait été mis en scène d’une manière qui ne peut pas servir chaque année ! Ecrire "trois jours pour sauver la planète", c'est efficace médiatiquement... une fois.  En 2009, on avait pu lire que la conférence avait été un échec, mais le bilan était finalement un peu le même que cette année : un verre que l'on peut juger à moitié plein ou à moitié vide. Au bout du compte la moindre médiatisation est probablement le résultat d'une difficulté à gérer dans la durée des situations qui durent ou se répètent. La presse a ses propres règles. Mais on émet des gaz à effet de serre qui vont rester un siècle dans l’atmosphère, ils sont émis très vite et on est face à une urgence un peu particulière : ne pas engager dès maintenant l’avenir, sous peine de voir des conséquences graves dans quelques décennies. On a besoin pour cela d’une démarche insistante, générationnelle, qui permette d’affronter avec la ténacité et la continuité suffisante des problèmes difficiles.

Propos recueillis par Julien Balboni

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