La présence du squelette et du moulage du corps de Sawtche, dite Saartjie Baartman ou la “Vénus hottentote”, dans les vitrines de la galerie d’anthropologie physique du Musée de l’Homme, ne choquait personne jusqu’à ce qu’en 1974 André Langaney, alors conservateur, ne soustraie (d’autorité) ses restes au regard des visiteurs. Sa dépouille fut ensuite restituée à l’Afrique du Sud. Il y a quelques années, un autre célèbre muséum présentait deux squelettes humains respectivement étiquetés : “Homo sapiens, homme, caucasien” et “Homo sapiens, femme, Italienne” (sic). Le destin tragique de la Vénus, exhibée et maltraitée dans toute l’Europe puis disséquée par Georges Cuvier lui-même ne pouvait que susciter la compassion. Mais qui sont tous les autres ? Combien de restes humains dorment dans les réserves des muséums (sans parler du musée de l’histoire de la médecine ou de celui de la préfecture de police) ? Doit-on rendre à l’Égypte et enterrer les centaines de momies entassées dans les musées d’Europe ? Sans doute pas, mais, si on ne réduit plus les Égyptiens en poudre comme au XIXe siècle pour en faire des pigments, on pourrait encore légitimement se poser la question ! Où s’arrête la curiosité et où commence la profanation ?
Après tout, les seules différences entre Sawtche et un fœtus difforme en bocal, sont que l’on ne sait rien de l’histoire de celui-ci et qu’il n’a pas servi à étayer les théories racistes soutenues par l’anthropologie du XIXe siècle. Mais, à l’exception de ce cas particulier, les critères qui vous font passer de la vitrine à la sépulture sont subjectifs, ils ne dépendent que de la proximité temporelle ou affective de ceux qui décideront de votre sort et de l’intérêt d’une époque pour vos caractéristiques physiques.
Qu’en est-il des bêtes ? Un animal naturalisé provoque un étrange sentiment d’admiration mêlé d’un peu de gêne… Il ne devrait pourtant pas y avoir plus de gêne à voir une vache taxidermisée qu’à porter des chaussures en cuir. Là encore, l’humanité manque de logique aurait dit M. Spock – qui, s’il avait existé, se serait sans doute retrouvé dans une vitrine –, car ces objets provoquent en nous un sentiment confus où s’entrechoquent notre subjectivité (l’illusion de la vie) et notre objectivité (la conscience de la mort).
Bien sûr, l’intérêt scientifique de certains corps humains les privera définitivement, et légitimement, de sépulture : il ne nous viendrait pas à l’idée d’enterrer Ötzi… et comme vous le constaterez dans ces pages, les dépouilles animales mises en scène ont un indéniable intérêt pédagogique (d’autant qu’elles évitent la cage à quelques vivants). Les seules représentations du grand pingouin suffiraient-elles à nous faire prendre conscience de la réalité de son irrémédiable perte ? Intérêt pédagogique mais aussi scientifique, car la taxidermie leur permet de traverser le temps jusqu’à ce que, peut-être, de nouvelles techniques les fassent parler plus clairement.
Je regrette pourtant la disparition de l’anecdotique cartel de l’Italienne car, à partir de ce maigre indice, je me plaisais, adolescente, à imaginer quels hasards de la vie l’avait menée jusqu’ici. Elle avait aussi, avec son compagnon “caucasien”, le mérite de montrer combien nous sommes embarrassés lorsqu’il s’agit de nous étudier nous-mêmes…
Cécile Breton
Pour bénéficier d’une vitrine luxueuse et confortable préférez la sainteté aux difformités physiques (cliché FLL/Creative Commons).
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