Vous n’aimez pas être dérangé au cours des repas ? Estimez-vous heureux de ne pas être un molosse du Brésil (Tadarida brasiliensis).
Des molosses du Brésil font une petite virée crépusculaire (cliché N. Hristov/domaine public) |
Imaginez-vous un instant dans la peau d’une de ces chauves-souris : vous
poursuivez un insecte appétissant repéré en plein vol. En phase d’approche
finale, vous émettez des sons dans sa direction et vos grandes oreilles captent
les échos qui en reviennent : cela vous renseigne précisément sur
l’emplacement, la taille et la vitesse de votre proie. Soudain, une autre
chauve-souris vous bombarde d’ondes sonores qui brouillent vos perceptions. La
gêne est si importante que vous ratez la cible, et c’est la voisine qui se
régalera à votre place ! Maigre consolation : la technique de
compétition alimentaire dont vous venez d’être victime fait l’admiration des
biologistes.
En effet, perturber
la perception sensorielle des compétiteurs pour augmenter ses propres prises
est une stratégie inédite. Elle vient d’être décrite dans la revue Science par deux chercheurs américains comme
un « phénomène encore jamais documenté chez les animaux ». Le molosse
du Brésil, que l’on trouve des États-Unis jusqu’en Argentine, était pourtant déjà
bien connu pour former les plus grandes colonies de chauves-souris du monde :
plus d’un million d’individus se réunissent parfois dans une seule grotte. Par
ailleurs, on savait déjà que ces animaux utilisent un large répertoire vocal
pour communiquer.
Mais un signal
sonore encore inconnu a intrigué les chercheurs : il était toujours émis
par une chauve-souris au moment précis où une autre lance ses signaux
d’écholocation avant de fondre sur sa proie. Or, micros et caméras infrarouge
ont révélé que ce signal réduit de 70 à 85% le taux de capture d’insectes par
la chauve-souris qui en est victime. Les tentatives infructueuses se voient bien sur les films au ralenti tournés par
les chercheurs. De plus, l’analyse détaillée du signal perturbateur
montre que la fréquence et la durée des
sons qui le composent sont modulées de façon à brouiller le plus possible les
signaux d’écholocation. A défaut d’avoir le sens du
partage, ces chauves-souris ont clairement celui du timing.
Référence : Corcoran A. J. et Conner W. E., 2014 – “Bats jamming
bats : food competition through sonar interference”, Science, 346 : 745 – 747.
Julien Grangier
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