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vendredi 23 octobre 2015

Pourquoi les forêts tropicales ont besoin de (grands) poissons



Le poisson Brycon hilarii, auxiliaire des arbres dans les eaux du Brésil (photo David Morimoto CC BY-SA 2.0).

Dans les forêts tropicales, la surchasse affecte non seulement certains animaux, mais aussi toutes les espèces qui dépendent d'eux pour se reproduire. En effet, de nombreux animaux sont frugivores, si bien que leur déclin a des répercussions importantes sur la dispersion des graines. Cela a été mis en évidence pour plusieurs mammifères, comme les éléphants ou les singes, mais le rôle des poissons n'a pas encore reçu toute l’attention qu’il méritait. Pourtant près de 300 espèces, dont la moitié vivent en Amérique du Sud, se nourrissent de fruits tombés dans l’eau et assurent ainsi efficacement la dispersion des graines dans leurs excréments. Une étude vient de souligner les effets importants que la surpêche pourrait avoir sur la végétation des zones humides de ce continent.

Les chercheurs ont travaillé dans deux régions distinctes : l’Amazonie colombienne, et le Pantanal au Brésil. Des rivières en crue plongent de larges portions de ces territoires sous plusieurs mètres d’eau pendant 5 à 6 mois par an.
Forêt inondée en Amazonie colombienne (photo Dave Lonsdale, CC BY 2.0).
Les poissons frugivores dispersent jusqu’à 50 % des espèces de plantes à fruits bordant ces eaux. Toutefois, de plus en plus ciblés par les pêches commerciales et récréatives, certaines populations ont chuté de 90 %. Les poissons les plus grands sont les plus touchés, en raison de l’intérêt qu’ils suscitent pour les pêcheurs et des lois instaurant des tailles minimum de prise. Problème : les poissons de grande taille sont les meilleurs vecteurs de dispersion pour les plantes, et ce à plusieurs titres :

Les grands poissons dispersent plus, et plus loin

Non seulement les poissons les plus grands dispersent les graines sur de plus longues distances, mais ils consomment aussi des fruits de tailles plus variées que les petits. Certaines graines mesurant plusieurs centimètres ne pourraient tout simplement pas être ingérées par les petits poissons délaissés par les pêcheurs. Ils transportent donc une plus grande diversité de plantes.

Taille maximale enregistrée pour chaque espèce de poisson frugivore étudiée (genres Myloplus, Brycon, Mylossoma et Piaractus) (photos S. B. Correa et J. K. Araujo, image tirée de Correa et al. 2015 - Biological Conservation).

Ils protègent mieux les graines…

La taille des poissons augmente aussi la probabilité que les graines restent intactes après leur ingestion, condition indispensable à leur future germination. Même s’ils en croquent quelques-unes au passage, les poissons de grande taille avalent beaucoup de graines intactes. En revanche, plus les poissons sont petits, plus leur bouche est étroite, et plus la proportion de graines mâchées est élevée. 

… et augmentent leur chance de germer

Parmi les graines intactes ayant échappé aux dents des poissons, celles de plusieurs espèces de plantes ont plus de chances de germer après avoir transité dans le système digestif d’un grand poisson. L’effet est particulièrement net dans les communautés d'Amazonie : allongez le poisson d'un centimètre et le taux de germination augmente de 17 % en moyenne ! Cela serait dû au temps de transit plus élevé dans les intestins des grands poissons, ce qui ferait subir aux graines des changement physiques ou chimiques favorisant plus tard la germination.
Les fruits de l'arbuste Mouriri guianensis sont dispersés par les poissons frugivores du Pantanal (photo Frutos Atrativos do Cerrado, CC BY-NC-SA 2.0).

En ciblant les plus grands individus au sein de chaque espèce, la surpêche des poissons frugivores risque donc d'affecter, indirectement mais gravement, la dispersion et la germination de nombreuses plantes des zones humides d’Amérique du Sud, un habitat qui couvre tout de même 15 % du continent. Un risque d’autant plus fort que les  poissons semblent disperser des graines qu'oiseaux et mammifères dédaignent. En cas de disparition des poissons les plus efficaces, certaines plantes pourraient perdre d'irremplaçables alliés.



Référence : Correa S. B., Araujo J. K., Penha J. M. F., Nunes da Cunha C., Stevenson P. R., Anderson J. T. 2015 - “Overfishing disrupts an ancient mutualism between frugivores fishes and plants in Neotropical wetlands”, Biological Conservation 191 : 159-167 (doi: 10.1016/j.biocon.2015.06.019).


Voir aussi 
Espèces n°4 - Juin 2012 : Les poissons frugivores de l’Amazone par Bruno Corbara (CNRS/université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand) P. 74-75

L'impact de la chasse sur la dispersion des graines en forêt tropicale (supplément internet à Espèces n° 4) par Bruno Corbara

Julien Grangier

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